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LIVRE PREMIER

En ces germes premiers, éternels, se dissout.

Que deviennent les eaux, lorsque le ciel leur père
Les précipite au sein maternel de la terre ?
Ces eaux, mais c’est le blé qui verdoie et qui luit ;
C’est l’arbre qui s’élance et se charge de fruit ?
Ces eaux, nous en vivons ; les bêtes s’en nourrissent,
Et, joyeuses, d’enfants les villes se fleurissent,
Et d’oisillons chanteurs résonnent les forêts ;
Puis les grasses brebis dans les herbages frais
Couchent leurs corps lassés ; et le lait, source blanche,
Des mamelles qu’il gonfle en flots vivants s’épanche ;
L’ivresse du lait pur monte aux jeunes cerveaux,
Et, d’un pied chancelant, sur les gazons nouveaux
S’ébat l’essor mutin de la nouvelle race.
Ainsi le fond survit quand la forme s’efface ; 280
D’échanges mutuels s’alimentent les corps,
Et nous ne naissons pas sans le secours des morts.

Le néant, tu le vois, ne peut engendrer l’être ;
Il ne peut l’absorber. Mais tu doutes peut-être
De ces corps éternels que tu n’aperçois pas ?
Je vais donc te montrer et tu reconnaîtras
Que ces germes subtils, ces invincibles causes,
N’en existent pas moins dans le tissu des choses.

Tu ne vois pas le vent. Pourtant il bat les eaux ;
Il disperse la nue, engloutit les vaisseaux ;
Ses tourbillons volants couchent dans les campagnes
Les grands arbres rompus, couronne des montagnes