Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/24

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leurs récits, y mêlent des éléments et des épisodes étrangers à la fable première ; et aussi des fortunes diverses subies par ces traditions orales, dans leurs longues migrations à travers les âges et les différents pays qu’elles ont traversés avant d’arriver jusqu’à nous. Si les récits contenus dans différents recueils, publiés en France, en Allemagne et ailleurs, paraissent plus réguliers, plus complets et moins mélangés que mes versions bretonnes, c’est que les éditeurs y sont intervenus, assez souvent, pour une bonne part. Avant de les présenter au public, ils les ont soumis à un examen et à un travail critiques, comparant, retranchant, ajoutant et comblant les lacunes, à l’aide de versions différentes, sans pourtant toucher au fond ni modifier la fable, ou le moins possible, si cela leur est arrivé parfois. Quant à moi, je le répète, je me suis rigoureusement interdit toute participation de ce genre, bornant mon rôle à fournir aux savants et aux critiques des matériaux, mélangés et incohérents il est vrai, et tels qu’ils sortent de la mine populaire, mais dans lesquels ils peuvent avoir toute confiance quant à l’authenticité de la provenance et à l’exactitude de la reproduction.

LE CAPITAINE LIXUR ET LA SANTIRINE[1].


Un vieux gentilhomme breton vivait tranquillement dans son château, avec ses trois filles. Sa femme était morte et il n’avait pas de fils. Voilà qu’une lettre lui arrive tout à coup de la part de son roi, qui lui dit d’envoyer son fils ainé pour le servir, ou de venir lui-même, s’il n’a pas de fils en état de porter les armes. La plus jeune de ses trois filles s’habille en homme, monte à cheval et se rend à la cour, où elle se présente comme le fils ainé du vieux seigneur. Le roi, charmé de sa bonne mine, la nomme capitaine tout de suite et lui donne une compagnie. On l’appelle le capitaine Lixur.

La reine le remarque à une revue, et demande au roi de le lui donner pour page. Le roi y consent, et, à partir de ce moment, le beau capitaine Lixur dut suivre partout la reine. Celle-ci était amoureuse de son page ; mais à toutes ses œillades, à toutes ses avances, le page restait insensible, si bien qu’elle en fut profondément blessée et jura de se venger de l’indifférence qu’il lui témoignait. Elle l’envoya d’abord pour tuer un sanglier, un animal très-redoutable, qui était dans un bois voisin. Une vieille femme, une fée, vint en aide au capitaine Lixur, lui

  1. Santirine est une altération du mot Satyre.