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LE ROI SERPENT ET LE PRINCE DE TRÉGUIER.


Il y avait, au temps jadis, un prince en Tréguier qui avait un fils unique. Ce fils, s’ennuyant chez son père, voulut voyager. Le vieux roi lui donna beaucoup d’argent, et il partit. Mais il dépensa tout son argent au jeu et avec les femmes, et le voilà sans le sou et bien embarrassé, ne sachant aucun métier pour gagner sa vie. Un jour, après une longue marche, il arriva, exténué de fatigue et de faim, à une pauvre chaumière, sur une grande lande. Il y demanda l’hospitalité, qui lui fut accordée. Il y resta même quelque temps, et le propriétaire de la chaumière, qui était un pauvre petit tailleur, travaillant à la journée dans les fermes et chez les pauvres gens du pays, le voyant presque nu, eut pitié de lui et lui fit des braies neuves et une veste de grosse toile de fil d’étoupe. Alors il se remit en route, à la grâce de Dieu. Il arriva à un vieux château, au milieu d’un bois. La porte de la cour était ouverte, et il entra. Il vit une vieille femme à longues dents, appuyée sur un bâton, qui lui servait de troisième pied, et il lui demanda l’hospitalité pour la nuit. La vieille lui dit qu’il serait logé, et, après l’avoir fait souper, elle le conduisit à son lit, dans une chambre du château, et lui recommanda de ne pas ouvrir la porte de la chambre à côté, ou il serait effrayé de ce qu’il y verrait. Puis elle s’en alla.

Mais la curiosité empêchant le prince de dormir, il se leva et ouvrit la porte de la chambre défendue. Il y vit un énorme serpent roulé sur lui-même. Le serpent prit la parole, comme un homme, et lui dit que s’il voulait faire ce qu’il lui dirait, il en serait bien récompensé, plus tard. « Je le ferai, si je le puis, répondit le prince. — Eh bien ! reprit le serpent, allez vite au bois, coupez-y un fort bâton, puis revenez ici, et je vous dirai ce que vous aurez à faire ensuite. » Le prince se rendit au bois, qui entourait le château, y coupa un gros bâton de coudrier, et revint à la chambre du serpent. Celui-ci lui dit alors : « A présent, fourrez-moi ce bâton dans le corps, par la bouche, puis, m’ayant chargé sur votre dos, partez en silence, pendant que la vieille dort, et emportez-moi d’ici. Vous marcherez tout droit devant vous, jusqu’à ce que vous trouviez un autre château. Quand vous vous sentirez faiblir, ou que vous aurez faim ou soif, léchez-moi la bouche, et aussitôt vous vous sentirez réconforté. »

Le prince suivit ponctuellement ces instructions, et le voilà hors du château, portant le serpent sur son dos. Il marche, il marche et, quand il se sent faiblir, il lèche la bouche du serpent, pleine d’écume, et les forces lui reviennent aussitôt. Il aperçoit enfin, dans le lointain, un château entouré de hautes murailles, « C’est là ! lui dit le serpent, courage ! » Il arrive au château et pénètre dans la cour. Là, le serpent