Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/28

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lui dit : « Déposez-moi à terre, à présent ; et retirez le bâton de mon corps. » Ce qu’il fait. Et aussitôt le serpent devient un homme. C’était un roi ! Il avait dans ce château trois filles, retenues là enchantées depuis cinq cents ans. Elles étaient toutes les trois à leurs fenêtres, et elles s’écrièrent ensemble, en reconnaissant leur père : « Notre père, que nous n’avons pas vu depuis si longtemps ! » Et elles descendirent, en toute hâte, pour l’embrasser. Alors il leur dit : « Voici, mes enfants, le prince de Tréguier, à qui nous devons notre délivrance, et je désire qu’une de vous, celle qu’il choisira, le prenne pour époux. — Le prince de Tréguier ? qu’est-ce que cela, le prince de Tréguier ? répondirent les deux aînées, d’un air dédaigneux. — Moi, mon père, je le prendrai volontiers, puisqu’il vous a délivré, dit la cadette. — Sotte ! lui dirent ses sœurs ; qu’il montre du moins ce dont il est capable. — C’est juste, répondit le vieux roi[1]. »

Et il donna au prince une épée enchantée et un beau cheval blanc et lui dit : « Allez en Russie avec cette épée et ce cheval. Le cheval vous conduira et vous portera, et, pendant que vous tiendrez l’épée, vous pourrez être exempt de toute inquiétude. Vous arriverez en Russie au moment d’une grande bataille ; vous pousserez votre cheval au milieu de la mêlée et vous n’aurez qu’à élever votre épée, la pointe en l’air, en souhaitant la mort des ennemis de l’empereur de Russie, et aussitôt tous ceux qui la verront tomberont morts à terre. De même pour le gibier, même les animaux les plus dangereux, quand vous serez à la chasse. L’empereur de Russie, pour reconnaître le service que vous lui aurez rendu, vous donnera la main de sa fille unique. Elle vous trahira, avec un des généraux de son père, qui est son amant  ; mais ne craignez rien et ne vous en désolez pas, car vous épouserez un jour la fille du roi de Naples. (Le roi de Naples c’était le roi serpent lui-même.) Quand vous serez marié, la fille de l’empereur de Russie viendra à bout de vous enlever votre épée, et, dès lors vous ne pourrez plus échapper à sa vengeance et à celle de son amant. Vous serez mis à mort et haché menu comme chair à pâté. Mais, avant de mourir, demandez que l’on mette tous les morceaux dans un sac, que l’on charge ce sac sur votre cheval et que l’on laisse celui-ci aller en liberté. On vous l’accordera. Le cheval reviendra à la maison, et, avec de l’eau de la vie, que je possède, je vous rappellerai à la vie. »

Le prince partit pour la Russie, avec sa bonne épée et son bon cheval, et tout se passa, de point en point, comme le lui avait dit le roi serpent. Il gagna la victoire sur les ennemis de l’empereur et épousa sa fille. Mais il eut l’imprudence de révéler à sa femme la vertu de son épée, et son amant et elle la lui enlevèrent. Il fut mis à mort par eux, haché

  1. À partir d’ici, le premier conte semble se perdre dans un autre.