Page:Mérimée - Carmen.djvu/28

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mais il est si méchant que nul que le Navarro ne peut en approcher.

— Que le diable vous emporte ! lui dis-je. Quel mal vous a fait ce pauvre homme pour le dénoncer ? D’ailleurs, êtes-vous sûr qu’il soit le brigand que vous dites ?

— Parfaitement sûr ; tout à l’heure il m’a suivi dans l’écurie et m’a dit : « Tu as l’air de me connaître ; si tu dis à ce bon monsieur qui je suis, je te fais sauter la cervelle. » Restez, Monsieur, restez auprès de lui ; vous n’avez rien à craindre. Tant qu’il vous saura là, il ne se méfiera de rien.

Tout en parlant, nous nous étions déjà assez éloignés de la venta pour qu’on ne pût entendre les fers du cheval. Antonio l’avait débarrassé en un clin d’œil des guenilles dont il lui avait enveloppé les pieds ; il se préparait à enfourcher sa monture. J’essayai prières et menaces pour le retenir.

— Je suis un pauvre diable, monsieur, me disait-il ; deux cents ducats ne sont pas à perdre, surtout quand il s’agit de délivrer le pays de pareille vermine. Mais prenez garde : si le Navarro se réveille, il sautera sur son espingole, et gare à vous ! Moi, je suis trop avancé pour reculer ; arrangez-vous comme vous pourrez.