Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/35

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intimes, et dont peut-être un étranger ne devrait pas se mêler.

— Oh ! ne dites pas ce mot-là, miss Nevil ; l’autre me plaisait bien mieux.

— Eh bien ! monsieur, je dois vous dire que, sans avoir cherché à savoir vos secrets, je me trouve les avoir appris en partie, et il y en a qui m’affligent. Je sais, monsieur, le malheur qui a frappé votre famille ; on m’a beaucoup parlé du caractère vindicatif de vos compatriotes et de leur manière de se venger… N’est-ce pas à cela que le préfet faisait allusion ?

— Miss Lydia peut-elle penser !… Et Orso devint pâle comme la mort.

— Non, monsieur della Rebbia, dit-elle en l’interrompant ; je sais que vous êtes un gentleman plein d’honneur. Vous m’avez dit vous-même qu’il n’y avait plus dans votre pays que les gens du peuple qui connussent la vendette… qu’il vous plaît d’appeler une forme du duel…

— Me croiriez-vous donc capable de devenir jamais un assassin ?

— Puisque je vous parle de cela, monsieur Orso, vous devez bien voir que je ne doute pas de vous, et si je vous ai parlé, poursuivit-elle en baissant les yeux, c’est que j’ai compris que, de retour dans votre pays, entouré peut-être de préjugés barbares, vous seriez bien aise de savoir qu’il y a quelqu’un qui vous estime pour votre courage à leur résister. — Allons, dit-elle en se levant, ne parlons plus de ces vilaines choses-là : elles me font mal à la tête, et d’ailleurs il est bien tard. Vous ne m’en voulez pas ? Bonsoir, à l’anglaise. Et elle lui tendit la main.

Orso la pressa d’un air grave et pénétré.

— Mademoiselle, dit-il, savez-vous qu’il y a des moments où l’instinct du pays se réveille en moi. Quelquefois, lorsque je songe à mon pauvre père,… alors d’affreuses