Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/37

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quelqu’un avec beaucoup d’intérêt, comme il semblait à l’expression de ses yeux ; puis, sur la réponse qui lui fut faite, elle donna un coup de houssine à sa monture, et, prenant le grand trot, ne s’arrêta qu’à la porte de l’hôtel où logeaient sir Thomas Nevil et Orso. Là, après avoir échangé quelques mots avec l’hôte, la jeune femme sauta lestement à bas de son cheval et s’assit sur un banc de pierre à côté de la porte d’entrée, tandis que son écuyer conduisait les chevaux à l’écurie. Miss Lydia passa avec son costume parisien devant l’étrangère sans qu’elle levât les yeux. Un quart d’heure après, ouvrant sa fenêtre, elle vit encore la dame au mezzaro assise à la même place et dans la même attitude. Bientôt parurent le colonel et Orso, revenant de la chasse. Alors l’hôte dit quelques mots à la demoiselle en deuil et lui désigna du doigt le jeune della Rebbia. Celle-ci rougit, se leva avec vivacité, fit quelques pas en avant, puis s’arrêta immobile et comme interdite. Orso était tout près d’elle, la considérant avec curiosité.

— Vous êtes, dit-elle d’une voix émue, Orso Antonio della Rebbia ? Moi, je suis Colomba.

— Colomba ! s’écria Orso.

Et, la prenant dans ses bras, il l’embrassa tendrement, ce qui étonna un peu le colonel et sa fille, car en Angleterre on ne s’embrasse pas dans la rue.

— Mon frère, dit Colomba, vous me pardonnerez si je suis venue sans votre ordre ; mais j’ai appris par nos amis que vous étiez arrivé, et c’était pour moi une si grande consolation de vous voir…

Orso l’embrassa encore : puis, se tournant vers le colonel :

— C’est ma sœur, dit-il, que je n’aurais jamais reconnue si elle ne s’était nommée. — Colomba, le colonel sir Thomas Nevil. — Colonel, vous voudrez bien m’excuser, mais je ne pourrai avoir l’honneur de dîner avec vous aujourd’hui… Ma sœur…