Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/53

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copie de toutes les pièces de l’instruction, et une lettre particulière du juge lui donna à peu près la conviction que le bandit Agostini était le seul coupable. Une fois tous les trois mois Colomba lui écrivait pour lui répéter ses soupçons, qu’elle appelait des preuves. Malgré lui, ces accusations faisaient bouillonner son sang corse, et parfois il n’était pas éloigné de partager les préjugés de sa sœur. Cependant, toutes les fois qu’il lui écrivait, il lui répétait que ses allégations n’avaient aucun fondement solide et ne méritaient aucune créance. Il lui défendait même, mais toujours en vain, de lui en parler davantage. Deux années se passèrent de la sorte, au bout desquelles il fut mis en demi-solde, et alors il pensa à revoir son pays, non point pour se venger sur des gens qu’il croyait innocents, mais pour marier sa sœur et vendre ses petites propriétés, si elles avaient assez de valeur pour lui permettre de vivre sur le continent.

VII.

Soit que l’arrivée de sa sœur eût rappelé à Orso avec plus de force le souvenir du toit paternel, soit qu’il souffrît un peu devant ses amis civilisés du costume et des manières sauvages de Colomba, il annonça dès le lendemain le projet de quitter Ajaccio et de retourner à Pietranera. Mais cependant il fit promettre au colonel de venir prendre un gîte dans son humble manoir, lorsqu’il se rendrait à Bastia, et en revanche il s’engagea à lui faire tirer daims, faisans, sangliers et le reste.

La veille de son départ, au lieu d’aller à la chasse, Orso proposa une promenade au bord du golfe. Donnant le bras à miss Lydia, il pouvait causer en toute liberté, car Colomba était restée à la ville pour faire ses emplettes, et le colonel les quittait à chaque instant pour tirer des