Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/317

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l’ordre de production capitaliste, c’était au contraire la condition servile des masses, leur transformation en mercenaires et la conversion de leurs moyens de travail en capital.

Dans cette époque de transition, la législation, chercha aussi à maintenir les quatre acres de terre auprès du cottage du salarié agricole, et lui interdit de prendre des sous-locataires. En 1627, sous Jacques Ier, Roger Crocker de Frontmill est condamné pour avoir bâti un cottage sur le domaine seigneurial de ce nom sans y avoir annexé quatre acres de terre à perpétuité ; en 1638, sous Charles Ier, on nomme une commission royale pour faire exécuter les anciennes lois, notamment celles sur les quatre acres. Cromwell aussi, interdit de bâtir près de Londres, à quatre milles à la ronde, aucune maison qui ne fût dotée d’un champ de quatre acres au moins. Enfin, dans la première moitié du dix-huitième siècle, on se plaint encore dès qu’il n’y a pas un ou deux acres de terre adjoints au cottage de l’ouvrier agricole. Aujourd’hui ce dernier se trouve fort heureux quand il a un petit jardin ou qu’il trouve à louer, à une distance considérable, un champ de quelques mètres carrés. « Landlords et fermiers, dit le Dr Hunter, se prêtent main-forte. Quelques acres ajoutés à son cottage rendraient le travailleur trop indépendant.[1] »

La Réforme, et la spoliation des biens d’église qui en fut la suite, vint donner une nouvelle et terrible impulsion à l’expropriation violente du peuple au seizième siècle. L’Église catholique était à cette époque propriétaire féodale de la plus grande partie du sol anglais. La suppression des cloîtres, etc., en jeta les habitants dans le prolétariat. Les biens mêmes du clergé tombèrent entre les griffes des favoris royaux ou furent vendus à vil prix à des citadins, à des fermiers spéculateurs, qui commencèrent par chasser en masse les vieux tenanciers héréditaires. Le droit de propriété des pauvres gens sur une partie des dîmes ecclésiastiques fut tacitement confisqué[2] « Pauper ubique jacet » s’écriait la reine Élisabeth après avoir fait le tour de l’Angleterre. Dans la quarante-troisième année de son règne, on se voit enfin forcé de reconnaître le paupérisme comme institution nationale et d’établir la taxe des pauvres. Les auteurs de cette loi eurent honte d’en déclarer les motifs, et la publièrent sans aucun préambule, contre l’usage traditionnel[3]. Sous Charles Ier, le Parlement la déclara perpétuelle, et elle ne fut modifiée qu’en 1834. Alors, de ce qui leur avait été originellement accordé comme indemnité de l’expropriation subie, on fit aux pauvres un châtiment.

Le protestantisme est essentiellement une religion bourgeoise. Pour en faire ressortir l’« esprit » un seul exemple suffira. C’était encore au temps d’Élisabeth : quelques propriétaires fonciers et quelques riches fermiers de l’Angleterre méridionale se réunirent en conciliabule pour approfondir la loi sur les pauvres récemment promulguée. Puis ils résumèrent le résultat de leurs études communes dans un écrit, contenant dix questions raisonnées, qu’ils soumirent ensuite à l’avis d’un célèbre jurisconsulte d’alors, le sergent Snigge, élevé au rang de juge sous le règne de Jacques Ier. En voici un extrait :

« Neuvième question : Quelques-uns des riches fermiers de la paroisse ont projeté un plan fort sage au moyen duquel on peut éviter toute espèce de trouble dans l’exécution de la loi. Ils proposent de faire bâtir dans la paroisse une prison. Tout pauvre qui ne voudra pas s’y laisser enfermer se verra refuser l’assistance. On fera ensuite savoir dans les environs que, si quelque individu désire louer les pauvres de cette paroisse, il aura à remettre, à un terme fixé d’avance, des propositions cachetées indiquant le plus bas prix auquel il voudra nous en débarrasser. Les auteurs de ce plan supposent qu’il y a dans les comtés voisins des gens qui n’ont aucune envie de travailler, et qui sont sans fortune ou sans crédit pour se procurer soit ferme, soit vaisseau, afin de pouvoir vivre sans travail (so as to live without labour). Ces gens-là seraient tout disposés à faire à la paroisse des propositions très avantageuses. Si çà et là des pauvres venaient à mourir sous la garde du contractant, la faute en retomberait sur lui, la paroisse ayant rempli à l’égard de ces pauvres tous ses devoirs. Nous craignons pourtant que la loi dont il s’agit ne permette pas des mesures de prudence (prudendial measures) de ce genre. Mais il vous faut savoir que le reste des freeholders (francs tenanciers) de ce comté et des comtés voisins se joindra à nous pour engager leurs représentants à la Chambre des Communes à proposer une loi qui permette d’emprisonner les pauvres et de les contraindre au travail, afin que tout individu qui se refuse à l’emprisonnement perde son droit à l’assistance. Ceci, nous l’espérons, va empêcher les misérables d’avoir besoin d’être assistés (will prevent persons in distress from wanting relief)[4]. »

    laboureurs restent simples journaliers et valets de ferme, où bien cottagers, c’est-à-dire mendiants domiciliés, il sera possible d’avoir une bonne cavalerie, mais jamais des corps de fantassins solides… C’est ce que l’on voit en France et en Italie et dans d’autres pays, où il n’y a en réalité que des nobles et des paysans misérables… à tel point que ces pays sont forcés d’employer pour leurs bataillons d’infanterie des bandes de mercenaires suisses et autres. De là vient qu’ils ont beaucoup d’habitants et peu de soldats. » (The Reign of Henry VII, etc. Verbatim Reprint from Kennet’s England, éd. 1719, Lond., 1870, p. 308.)

  1. Dr Hunter, l. c., p. 134. « La quantité de terrain assignée (par les anciennes lois) serait aujourd’hui jugée trop grande pour des travailleurs, et tendant plutôt à les convertir en petits fermiers. » (George Roberts : The social History of the People of the Southern Counties of England in past Centuries. Lond., 1856, p. 184, 185.)
  2. « Le droit du pauvre à avoir sa part des dîmes est établi par la teneur des anciens statuts. » (Tuckett, l. c., vol. II, p. 804, 805.)
  3. William Cobbet : A History of the protestant reformation. §. 471.
  4. R. Blakey : The History of political literature front the earliest times ; Lond., 1855, vol. II, p. 83, 84. — En Écosse, l’abolition du servage a eu lieu quelques siècles plus tard qu’en Angleterre. Encore en 1698, Fletcher de Salhoun fit à la Chambre des Communes d’Écosse cette déclaration : « On estime qu’en Écosse le nombre des mendiants n’est pas au-dessous de deux cent mille. Le seul remède que moi, républicain par principe, je connaisse à cette situation, c’est de rétablir l’ancienne condition du servage et de faire autant d’esclaves de tous ceux qui sont incapables de pourvoir à leur subsistance. » De même Eden, l. c., vol. I, ch. I : « Le paupérisme