Page:Maupassant - Œuvres posthumes, I, OC, Conard, 1910.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
205
LA FARCE.

Une idée me vint : « Ma lumière va peut-être s’éteindre tout à coup et me laisser dans l’obscurité. » Alors j’allumai toutes les bougies de la cheminée. Puis je regardai encore autour de moi sans rien découvrir. J’avançai à petits pas faisant le tour de l’appartement. — Rien. — J’inspectai tous les objets l’un après l’autre. — Rien. — Je m’approchai de la fenêtre. Les auvents, de gros auvents en bois plein, étaient demeurés ouverts. Je les fermai avec soin, puis je tirai les rideaux, d’énormes rideaux de velours, et je plaçai une chaise devant, afin de n’avoir rien à craindre du dehors.

Alors je m’assis avec précaution. Le fauteuil était solide. Je n’osais pas me coucher. Cependant le temps marchait. Et je finis par reconnaître que j’étais ridicule. Si on m’espionnait, comme je le supposais, on devait, en attendant le succès de la mystification préparée, rire énormément de ma terreur.

Je résolus donc de me coucher. Mais le lit m’était particulièrement suspect. Je tirai sur les rideaux. Ils semblaient tenir. Là était le danger pourtant. J’allais peut-être recevoir une douche glacée du ciel-de-lit, ou bien, à peine étendu, m’enfoncer sous terre avec mon sommier. Je cherchais en ma mémoire tous les souvenirs de farces accomplies. Et je ne voulais pas être pris. Ah ! mais non ! Ah ! mais non !

Alors je m’avisai soudain d’une précaution que je jugeai souveraine. Je saisis délicatement le bord du matelas, et je le tirai vers moi avec douceur. Il vint, suivi du drap et des couvertures. Je traînai tous ces objets au beau milieu de la chambre, en face de la porte d’entrée. Je refis là mon lit, le mieux que je pus, loin de la couche suspecte et de l’alcôve inquiétante. Puis, j’éteignis toutes les lumières, et je revins à tâtons me glisser dans mes draps.

Je demeurai au moins encore une heure éveillé,