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LA FARCE.

Nous avions souvent en visite une vieille dame d’Amiens, insupportable, prêcheuse, hargneuse, grondeuse, mauvaise et vindicative. Elle m’avait pris en haine, je ne sais pourquoi, et elle ne cessait de rapporter contre moi, tournant en mal mes moindres paroles et mes moindres actions. Oh ! la vieille chipie !

Elle s’appelait Mme Dufour, portait une perruque du plus beau noir, bien qu’elle fût âgée d’au moins soixante ans, et posait là-dessus des petits bonnets ridicules à rubans roses. On la respectait parce qu’elle était riche. Moi, je la détestais du fond du cœur et je résolus de me venger de ses mauvais procédés.

Je venais de terminer ma classe de seconde et j’avais été frappé particulièrement, dans le cours de chimie, par les propriétés d’un corps qui s’appelle le phosphure de calcium, et qui, jeté dans l’eau, s’enflamme, détone et dégage des couronnes de vapeur blanche d’une odeur infecte. J’avais chipé, pour m’amuser pendant les vacances, quelques poignées de cette matière assez semblable à l’œil à ce qu’on nomme communément du cristau.

J’avais un cousin du même âge que moi. Je lui communiquai mon projet. Il fut effrayé de mon audace.

Donc, un soir, pendant que toute la famille se tenait encore au salon, je pénétrai furtivement dans la chambre de Mme Dufour, et je m’emparai (pardon, mesdames) d’un récipient de forme ronde qu’on cache ordinairement non loin de la tête du lit. Je m’assurai qu’il était parfaitement sec et je déposai dans le fond une poignée, une grosse poignée, de phosphure de calcium.

Puis j’allai me cacher dans le grenier, attendant l’heure. Bientôt un bruit de voix et de pas m’annonça qu’on montait dans les appartements ; puis le silence se fit. Alors, je descendis nu-pieds, retenant mon