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ŒUVRES POSTHUMES.

souffle, et j’allai placer mon œil à la serrure de mon ennemie.

Elle rangeait avec soin ses petites affaires. Puis elle ôta peu à peu ses hardes, endossa un grand peignoir blanc qui semblait collé sur ses os. Elle prit un verre, l’emplit d’eau, et enfonçant une main dans sa bouche comme si elle eût voulu s’arracher la langue, elle en fit sortir quelque chose de rose et de blanc, qu’elle déposa aussitôt dans l’eau. J’eus peur comme si je venais d’assister à quelque mystère honteux et terrible. Ce n’était que son râtelier.

Puis elle enleva sa perruque brune et apparut avec un petit crâne poudré de quelques cheveux blancs, si comique que je faillis, cette fois, éclater de rire derrière la porte. Puis elle fit sa prière, se releva, s’approcha de mon instrument de vengeance, le déposa par terre au milieu de la chambre, et, se baissant, le recouvrit entièrement de son peignoir.

J’attendais, le cœur palpitant. Elle était tranquille, contente, heureuse. J’attendais… heureux aussi, moi, comme on l’est quand on se venge.

J’entendis d’abord un très léger bruit, un clapotement, puis aussitôt une série de détonations sourdes comme une fusillade lointaine.

Il se passa, en une seconde, sur le visage de Mme Dufour, quelque chose d’affreux et de surprenant. Ses yeux s’ouvrirent, se fermèrent, se rouvrirent, puis elle se leva tout à coup avec une souplesse dont je ne l’aurais pas crue capable, et elle regarda…

L’objet blanc crépitait, détonait, plein de flammes rapides et flottantes comme le feu grégeois des anciens. Et une fumée épaisse s’en élevait, montant vers le plafond, une fumée mystérieuse, effrayante comme un sortilège.

Que dut-elle penser, la pauvre femme ? Crut-elle à