Page:Maupassant - Boule de suif, OC, Conard, 1908.djvu/286

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Ce même homme revint souvent accompagner les deux dames, et cette ressemblance vague, éloignée et familière qu’il ne pouvait retrouver importunait tellement le vieux donneur d’eau bénite, qu’il fit venir sa femme avec lui pour aider sa mémoire affaiblie.

Un soir, comme le jour baissait, les étrangers entrèrent tous les trois. Lorsqu’ils furent passés :

— Eh bien ! le connais-tu ? dit le mari.

La femme inquiète cherchait à se rappeler aussi. Tout à coup elle dit tout bas :

— Oui… oui… mais il est plus noir, plus grand, plus fort et habillé comme un monsieur ; pourtant, père, vois-tu, c’est ta figure quand tu étais jeune.

Le vieux fit un soubresaut.

C’était vrai ; il lui ressemblait, et il ressemblait aussi à son frère qui était mort, et à son père qu’il avait connu jeune encore. Ils étaient tellement émus qu’ils ne trouvaient rien à dire. Les trois personnes redescendaient, allaient sortir. L’homme touchait le goupillon du doigt. Alors le vieux, dont la main tremblait tellement qu’elle faisait par terre une pluie d’eau bénite, s’écria : Jean ?

L’homme s’arrêta, le regardant.

Il reprit plus bas :

— Jean ?