Page:Maupassant - Boule de suif, OC, Conard, 1908.djvu/291

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la vue de certaines personnes a concordé avec le retour de certains faits, etc. De là naissent les superstitions. Elles se forment d’une observation incomplète, superficielle, qui voit la cause dans la coïncidence et ne cherche pas au-delà.

« Or, mon étoile à moi, ma comète, mon vendredi, mon nombre treize, mon jeteur de sorts, c’est bien certainement un marchand de coco.

« Le jour de ma naissance, m’a-t-on dit, il y en eut un qui cria toute la journée sous nos fenêtres.

« À huit ans, comme j’allais me promener avec ma bonne aux Champs-Élysées, et que nous traversions la grande avenue, un de ces industriels agita soudain sa sonnette derrière mon dos. Ma bonne regardait au loin un régiment qui passait ; je me retournai pour voir le marchand de coco. Une voiture à deux chevaux, luisante et rapide comme un éclair, arrivait sur nous. Le cocher cria. Ma bonne n’entendit pas ; moi non plus. Je me sentis renversé, roulé, meurtri… et je me trouvai, je ne sais comment, dans les bras du marchand de coco qui, pour me réconforter, me mit la bouche sous un de ses robinets, l’ouvrit et m’aspergea… ce qui me remit tout à fait.

« Ma bonne eut le nez cassé. Et si elle continua à regarder les régiments, les régiments ne la regardèrent plus.