Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

où tout est faux, emprunté ou factice, où aucune situation n’est liquide, où il est presqu’impossible de distinguer les hommes et les choses au milieu d’une mascarade universelle.

L’homme qui n’est pas parvenu à se créer une position se trouve, pour ainsi dire, hors la loi. C’est un outlaw comme disent les Anglais ; c’est un révolté, un déshérité, un paria. Il appartient à la grande tribu des misérables qui se décompose en une infinité de clans dont les individus se rapprochent suivant leurs affinités réciproques, et composent des mondes excentriques que l’on retrouve un peu partout, dans les tables d’hôte, les estaminets, les cénacles littéraires et politiques, comme aussi dans les salons du dernier ordre.

Quelquefois, mais rarement, les déclassés de la même profession se groupent, se forment en faisceau et en agissant à la façon du bélier, ils parviennent à briser le mur d’enceinte qui les retient dans les ténèbres extérieures. Partout ils luttent, ils résistent, ils intriguent, remplissant le monde de leurs plaintes faméliques et troublant, par leurs malédictions, la table des festins où ils ne sont pas assis.