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celui de son beau-père, et il tenait à Senlis l’hôtel du Cheval-Blanc.

Le fils d’Harveux-Court, grand-père de notre héros, soldat de la première République, était appelé dans son régiment Havrecourt, par abréviation ; rentré dans le monde, mêlé à quelques intrigues politiques sous le Directoire, il s’était appelé d’Havrecourt sous le premier Empire, époque à laquelle il fit un assez beau mariage, grâce à sa bonne mine.

Son fils, le père d’Hector, l’aigle de la famille, agent de M. de Vitrolles pendant la période préparatoire de la Restauration, s’était faufilé à la cour et se donnait auprès des petites gens comme étant de la plus haute noblesse. Quand son fils naquit, on l’appela Hector, le nom d’Havrecourt était heureux, celui d’Hector ne l’était pas moins, et le petit-fils de l’aubergiste de Senlis passait actuellement pour remonter aux croisades et pour être allié aux Noailles, qui n’avaient jamais entendu parler de ces parents-là.

Comment Georges Raymond, n’allant pas dans le monde et ne fréquentant, faute de mieux, que les bohêmes du quartier Latin, avait-il pu faire la connaissance d’un personnage aussi huppé ? Cela tenait à un de ces hasards baroques qui n’arrivent qu’à Paris.

Un soir, Raymond, suivant par une audace rare le pied léger d’une actrice qu’il avait vue sortir d’un théâtre, se jeta par mégarde dans les bras d’un monsieur qui attendait la belle au coin de la rue. Le monsieur, qui n’était autre qu’Hector, le repoussa rudement et lui dit ensuite avec le persiflage le plus sanglant, pendant que la dame mordait son mouchoir pour ne pas éclater de rire :

― Monsieur arrive… de quel département ?