Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/70

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s’acquittant scrupuleusement envers eux des égards et même des attentions auxquelles ils peuvent être sensibles.

Georges Raymond n’était pas précisément de ceux-là. Soit timidité, soit orgueil, il était peu propre au rôle de courtisan, et il n’était protégé ni connu d’aucun avocat en renom. Entré au barreau, comme il était entré partout, sans relations utiles, il n’avait aucun des tenants et aboutissants qui mènent à la clientèle, ou du moins ses rapports avec le monde des affaires étaient trop restreints pour lui créer des occupations fructueuses.

D’ailleurs Georges Raymond n’avait encore, comme avocat, qu’un talent d’avenir. Il avait contracté, dans les malheurs de sa vie et les troubles de son âme, des dispositions nerveuses qui rendaient son éloquence intermittente : il plaidait tantôt bien, tantôt mal, tantôt très bien, tantôt très mal ; quelquefois avec une supériorité décidée, mais qui ne se maintenait pas d’une manière constante, sans doute à cause du défaut de continuité dans l’exercice d’une profession si difficile.

Ces oscillations dans ses facultés, résultat aussi des préoccupations matérielles au milieu desquelles il se débattait, faisaient son désespoir. Il l’avouait quelquefois à Elmerich avec des larmes dans les yeux. Or, ce qui fait l’immense difficulté de la vie, c’est que, pour percer dans la position où se trouvait Georges Raymond, il faut se montrer toujours égal à soi-même, en sorte que le jeune avocat était fort loin d’être apprécié pour ce qu’il valait réellement.

Arrivé depuis un instant au Palais, il se trouvait, toque en tête et robe sur le dos, dans un groupe de cinq