Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/90

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toriété, croissaient de jour en jour, presque d’heure en heure, sans qu’il eût fait un livre, ou écrit une ligne dans un journal.

Ce qui avait mis le comble à sa réputation, c’est qu’au bal Bullier il avait, quinze jours auparavant, culbuté d’un formidable coup de poing un agent en bourgeois qui avait prétendu l’arrêter. Depuis ce jour, il n’était question que de cela dans les estaminets, et on parlait de lui pour la députation.

Mais il ne convient pas d’interrompre plus longtemps les joyeux propos de Cambrinus, qui, la chope en main, choquait déjà son verre contre ceux de ses amis, groupés autour de lui pour l’entendre, à l’exception de Marius Simon et du marquis qui faisaient bande à part, ne prisant que fort peu la faconde d’un rival récemment échappé de sa province.

― Mes amis, s’écria Cambrinus en secouant sa crinière et en prenant une pose magnifique, tout va bien, bonnes nouvelles sur toute la ligne. Vive Dieu ! nos bons Toulousains voteront comme un seul homme pour la bonne cause. Si cela peut vous être agréable, je vous l’annonce et je vous annonce aussi que j’ai la gorge emportée à force de crier depuis huit jours dans les husteings toulousains. Jean, à boire, mon garçon. Messieurs, veillons au salut de l’empire ! Et, changeant tout à coup de voix, il se mit à contrefaire un célèbre orateur du gouvernement parlant à la tribune du Corps législatif, imitant à s’y méprendre et la voix et les gestes de celui que le Siècle appelait le Grand vizir : Oui, messieurs, cette grande, cette noble politique que j’ai l’honneur de représenter devant vous, s’abrite sous les plis du drapeau glorieux qui a fait le tour du monde avec toutes les gloires de la France. De l’ordre,