Page:Maurice Joly - Son passe, son programme par lui meme - 1870.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

J’approche heureusement de la fin de ce long récit biographique singulièrement écourté toutefois ; et je prie le lecteur de me prêter encore un peu d’attention.

Je crois que la Révolution du 4 septembre eût contribué à ma guérison si la République n’eût été assaillie à la fois du dehors et du dedans : les Prussiens vainqueurs de la France sur tous les champs de bataille, dans tous les sièges ; la vieille France déchue, accablée sous la main de M. de Bismark !… Mais à quoi bon faire des phrases là-dessus ? Le 7 septembre, je m’arrachai de mon lit et je me rendis au ministère de l’intérieur.

C’est ici que je réponds à la honteuse insulte de M. Ferry, qui n’a pas rougi de m’accuser d’avoir demandé une place.

J’allai voir M. Gambetta, le poing un peu crispé, je l’avoue ; car je sentais instinctivement que quelques-uns de ces hommes, et surtout Gambetta, seraient assez sots pour être insolents au lendemain d’un pouvoir dont la puissante énergie pouvait seule racheter l’usurpation.

Je rencontrai ce finaud de Laurier, que je ne veux point maltraiter, mais qui s’est conduit quelque peu en renard… et je n’aime pas les renards.

Il me combla d’amitié et je lui dis : Si tu envoies des commissaires en province, j’en suis ; je me chargerai de la Côte-d’Or et du Jura, l’un ou l’autre ou bien tous les deux, ça m’est égal ; mais je révolutionnerai sans mettre de chemises rouges ni de chapeaux à rebors recourbés. Révolutionner, pour moi, c’était commander, organiser et faire obéir au nom du salut de la patrie.

C’est fait pour le Jura, me dit Laurier ; seulement le Jura est la Châtellenie de Grévy, il faut aller lui en dire un mot, sans cela rien.

Grévy, encore cet homme sur mon chemin ! Cela tombait bien. Impossible de lui en parler, lui répondis-je, nous sommes brouillés. — Eh bien, vous vous débrouillerez, il le faut. Te moques-tu des gens de parler de rancunes personnelles quand la patrie est en danger ?

C’était bien parler, je cédai à une inspiration qui me parut bonne. Mon parti était pris, Je montais en boitant les escaliers du no 2 de la rue Saint-Arnaud, où demeure l’auteur de l’amendement, me demandant, entre parenthèse, pourquoi il n’était rien dans le gouvernement.

Le sphinx jurassien, qui ne veut être ni dupe ni complice, lisait tranquillement dans son fauteuil : C’est moi, lui dis-je. On me dit qu’il faut savoir tout oublier devant les malheurs de la patrie. Si vous vous souvenez, moi j’ai oublié, et ne veux pas me souvenir. Le sphinx fit un signe de tête approbatif.

Je m’assis et lui dis en substance que je demandais à être envoyé dans le jura ; mais que je n’y avais songé que dans le cas où il n’irait pas lui-même ou n’aurait personne à désigner.