Page:Maurice Joly - Son passe, son programme par lui meme - 1870.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’était en 1851, quelques mois avant le coup d’État : je fis des démarches, j’établis les hautes relations qu’avait eues mon grand père à une époque où il était secrétaire général du ministère de la marine et des colonies à Naples. Bref, on m’offrit une place de 800 fr. à l’Hôtel-de-Ville. Un des amis de ma famille, fort bien situé à Paris, démontra que c’était se moquer que de me donner un si mince emploi. On me nomma attaché au ministère de l’intérieur, dont M. Chevreau était alors secrétaire général.

N’ayant point assez de fortune pour aller dans le monde, incapable d’intriguer, de tirer parti du moindre avantage, on m’oublia ; et quelque temps après le coup d’État, ayant besoin d’appointements pour vivre, on me fit, sur ma demande, entrer au ministère d’État aux émoluments de 1,200 fr.

Telle est l’histoire de mes rapports avec le personnel impérial. On a dégagé de tout cela que j’avais été secrétaire de la princesse Mathilde. Si c’était vrai, je l’eusse été avec la candeur d’âme qui me caractérisait à cette époque ; enfant de la province, j’avais vu passer le coup d’État sans le comprendre. Je ne m’occupais pas de politique, je cherchais à gagner ma vie, et si un prince ou une princesse m’eût alors demandé pour secrétaire, il est probable que j’aurais envisagé cela à travers les idées romanesques de l’adolescence et que j’aurais accepté avec gratitude ; mais il ne fut jamais question d’une telle chose, et je demande aux imbéciles ou aux méchants où ils sont allés chercher cette sottise avec laquelle on a essayé de battre en brèche un homme dont la vie entière peut défier la calomnie.




Je restai sept ans ! employé expéditionnaire au ministère d’État, travaillant sans aucun but les lettres, les arts, la politique, passant ma vie dans les bibliothèques et fréquentant peu le ministère. En 1858, un de mes camarades de bureau, qui me voyait transcrire des passages d’un dictionnaire de l’Académie, travail de bénédictin auquel je me livrais depuis deux mois pour m’assimiler le fond de la langue, me dit :

— Vous êtes fou ; au lieu d’écrémer les dictionnaires, vous feriez bien mieux de finir votre droit, pour tâcher d’arriver à quelque chose, car vous n’êtes pas si bête que vous le croyez.

Je ne répondis rien, je ne parlai de rien à personne, mais, dès le lendemain, je reprenais mes études de droit, que je terminais en 1860, après avoir été obligé de me mettre deux mois comme maître d’étude