Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/43

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leurs un jour, chez quelque bouquiniste, dans une ville où l’on coucha, il s’avisa d’acheter les Stalactites de Théodore de Banville. Dès lors, il vécut ébloui ! Un poète lui avait révélé la poésie, il voulut lire tous les poètes. Il ne s’est jamais rappelé au juste comment il avait fait pour se procurer un Ronsard, mais il se le procura. L’ivresse devint irrémédiable et s’accrut de jour en jour à mesure qu’il entrait plus intimement dans la connaissance des chefs-d’œuvre. Afin de lire Virgile dont André Chénier lui avait parlé, il apprit le latin. Entre deux portants de coulisse, dans les entr’actes du Vieux Caporal ou de la Grâce de Dieu, il étudiait gravement la grammaire de Lhomond. Puis, un soir qu’il soufflait, — car il soufflait toujours, regardant du coin de )’œil un livre chéri ouvert à côté de l’odieuse brochure, — un soir qu’il soufflait, une comédienne en représentation, au lieu de la phrase attendue : « Non ! misérable ! non, vous ne m’arracherez pas ma fille ! » l’entendit murmurer :


Nos patriam fugimus, nos dulcia linquimus arva !


Souffleur, comédien, toujours pauvre, jamais