Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il nous crie : jouissez, pressez, vivez, chantez, dansez !
Voici tout Cunivers qui s’offre à vos étreintes,
Et nous le regardons avec des yeux doux et blessés
Et nos yeux ont despleurs et nos voix ont des plaintes…

Et pourtant nous voulons vivre, chanter, danser, jouir,
Faire nos cœurs contents et nos chairs satisfaites
Mais nos cœurs sont des puits que nul bonheur ne peut remplir
Et nous sommes craintifs des prochaines défaites.
C’est pourquoi dans le soir, l’été, sous les ombres épaisses
En élevant les mains nous étouffons des pleurs,
Parce que ledésir, l’amour, la crainte et la tristesse
Ont mis l’inquiétude amère dans nos cœurs !


II


Tais-toi. Je suis content. Je t’aime. C’est assez.
Qu importent les soupirs, les maux, les pleurs versés,
Tout ce qui nous faisait l’âme lourde et penchée ?
Tu vins. Je t’attendais. Je ne t’ai pas cherchée.
Mais parce qu’il était nécessaire, vois-tu,
Que nous soyons l’un l’autre ainsi, tu es venue.
Ne me dis pas pourquoi, ne me dis pas comment.
Je t’aime. C’est assez. Nous sommes des amants.
Vois, l’amour est sur nous comme un ciel. Le silence
Fait se toucher nos cœurs. J’aime avec violence
Comme un chevreau bondit, j’aime docilement,
J’aime. Je suis à toi silencieusement.
Nous écoutons la nuit, le vent, la faible plainte
Des roseaux. Des parfums montent des térébinthes.
C’est un bourdonnement confus, au loin et trouble…
J’entends battre nos cœurs d’un rythme sourd et double,
Le mien un peu plus fort… Je sens de la fraîcheur
Qui monte. Viens. Rentrons… J’ai du ciel dans le cœur…