Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/41

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prisonnier ne portait que quand il y avait danger pour lui d’être vu et, craignait-on, reconnu.

Pour le folkloriste, il y a donc intérêt à connaître la solu­tion vraie, scientifique, de l’énigme. Carsi l’on ne doit recon­naître dans le Masque de Fer qu’un aventurier quelconque, l’imagination populaire a brodé à faux, ou bien a attribué à un seul personnage des actes, une individualité et une origine propres à des personnes différentes, par un procédé de cris­tallisation bien connu dont on trouvera des cas typiques dans les cycles légendaires relatifs à Charlemagne, à Frédéric Barberousse, à Tchinghiz-Khan,etc. Si, par contre, le Masque de Fer était bien un fils de roi, le peuple a eu raison contre nombre d’érudits, Voltaire, Alexandre Dumas ayant alors saisi instinctivement le sens vrai de l’énigme, tout en défor­mant la réalité : ainsi la théorie que le Masque était un frère aîné de Louis XIV est inventée de toutes pièces.

Aussi remercierai-je M. Andrew Lang de m’avoir envoyé le livre récent de monseigneur A. S . Barnes (i), qui donne du problème une solution sinon entièrement nouvelle, puis­ qu’elle avait été suggérée par A. Lang dans une note de The Servant’s Tragedy, mais du moins curieuse en ce qu’elle fait entrer dans le débat toute une série de faits qu’on avait lais­sés jusque-là en dehors.

Je rappellerai d’abord sommairement les faits établis par la correspondance officielle entre Saint-Mars, le gardien, pen­dant près de trente-cinq ans, du prisonnier, et Louvois, puis Barbezieux. Le 19 juillet 1669,lettre de Louvois à Saint-Mars, gouverneur de Pignerol, lui enjoignant de tout préparer pour recevoir un prisonnier ; celui-ci lui sera amené par De Vauroy, sergent-major de la ville et citadellede Dunkerque, averti par lettre du 28 juillet qu’il avait à arrêter « le nommé.......» et à le conduire en toute sûreté à Pignerol. Le 21 août, let­tre de Saint-Mars à Louvois : « M. de Vauroy a remis entre mes mains le nommé Eustache d’Auger... Je lui dis, en pré­sence de M. de Vauroy, que, s’il me parlait,à moi ouà quelqu’autre, d ’autre chose que pour ses nécessités, je lui mettrais mon épée dans le ventre. » Les lettres de Louvois ne cessent de recommander à propos de ce prisonnier de prendre toutes les mesures d’isolement possibles.

(1) The Man of the Mask, Londres, Smith, Elder et Cu.