Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LES SOUTIENS DE L’ORDRE « Je portai jusque chez mon oncle ce fardeau sanglotant et gracieux. Là, mon oncle et moi l’enveloppâmes dans des couvertures. Après que nous l’eûmes réchaufféeparun cordial^ elle nous raconta que son mari, en rentrant ivre, avait voulu la tuer. Affolée, elle s’était jetée de la fenêtre. Maintenant, elle se trouvait toute honteuse d’être ainsi nue entre deux hommes. Nous lui proposâmes de l’accompagner. Gomme je redoutais la colère du mari, je me rappelle que je m’armai d’un vieux fusil, tandis que mon oncle décrochait une halle­ barde d’une panoplie. Escortés de nos domestiques, nous nous m/mes en route. La femme s’appuyait, toute frissonnante, sur mon épaule. Quand nous arrivâmes, l ’homme était calmé; il se montra même fort timide et ennuyé. Il craignait d’être ap­ pelé en justice pour son incartade, ou que nous lui ravissions pour toujours sa femme. Appuyé sur sa hallebarde, mon on­ cle en profita pour lui faire une morale sévère, qu’il accepta. Nous retournâmes ensuite chez nous, fort heureux d’avoir accompli une bonne action. — Cette aventure, déclara Binet, est délicieuse. Je regrette que la pareille ne me soit jamais arrivée. — Récemment, reprit M. de La Musardière, j ’ai surpris la femme de mon fermier, tandis qu’elle faisait sa toilette. Elle était aussi nue ; mais, comme elle a dépassé la soixantaine, je préfère vous dire queje n’ai rien vu. A ce moment, quelqu’un frappa à la porte vitrée du cabi­ net. C ’était l’abbé Picquenet ; son visage était ruisselant de sueur. — Je ne vous dérange pas? interrogea-t -il ; je gage que vous parliez politique. Les deux hommes sourirent. — Monsieilr l’abbé, répondit M. de La Musardière, soyez le bienvenu, et venez prendropart à notre badinage. Je racontais à M. Binet comment procédait mon jardinier pour cultiver les orangers... en serre, monsieur l’abbé, naturellement. Mais, monsieur l’abbé, dans quel état vous trouvez-vous, et quelle raison vous oblige à courir ainsi au soleil ? — Le besoin de m’agiter, dit-il ; mon tempérament sanguin exige beaucoup d’exercice. L’abbé soufllait, reniflait. 11 posa son chapeau contre la sta­ tuette, à la hauteur du ventre, plus il s’assit.