Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/97

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LES SOUTIENS DE L’ORDRE Binet n’était pas franc-maçon. « il n’y a que cela qui vous manque », lui avaient souvent déclaré certains amis politiques. Il souriait, mais se refusaittoujours à céder à leurs sollicita­ tions; non point que des scrupules religieux l’éloignassent de la franc-maçonnerie, mais Gambade en faisait partie. Depuis longtemps, Binet méditait de le remplacer sur son siège de député, oùil semblait immuable. S ’il devenait frère maçon il luidevraitobéissance et il lui faudrait se contenter des hon­ neurspolitiques qu’on voudrait bien lui offrir. La dernière fois qu’il était allé au cercle démocratique, les membres du cercle lui avaient témoigné peu d’empressement dans leur accueil. Un de ses amis lui apprit que l’instituteur Sève l’accusait récemment, à la loge, de pactiser avec la réac­ tion etlecléricalisme. Laloge « l’Humanilé »possédaitcomme vénérable l’instituteur Ghave. L ’éloquence de Chave était vio­ lente etimagée. Sa barbe noire lui donnait un air assyrien. Chave répétait volontiers que l’instituteur devenait le prêtre de la société nouvelle, où la science remplaçait la religion; son élévation au grade de vénérable prenait ainsi une signi­ fication profonde et comme symbolique. Après que Sève eut dénoncé Binet à la loge, l’instituteur Chave s’était élevé en termes violents contre ce maire de la République, qui abandonnait les routes delumière pour choi­ sir les sentiers de l’obscurantisme. Il voyait, avait-il déclaré, dans la présence fréquente de Binet au château de La Musar­ dière, le signe d’un accaparementdu maire de Beauséjour par les prêtres. Des mesures énergiques, selon lui, s ’imposaient. Quand Binet eut terminé la lecture de la lettre, il se laissa aller à une colère effroyable. 11 repoussa loin de lui sa table de travail, dont l’encrier tomba, défonça son chapeau d’un coup de poing, culbuta sa chaise. Cette lettre était ainsi conçue : « La commission exécutive du Cercle démocratique, « à M. Binet, maire de Beauséjour, avocat. « Monsieur, « Nous avons le regret de vous adresser l’extrait suivant de notre registre desdélibérations : « Une enquête ayant été demandée par les membres du a Cercle démocratique, à propos de l’attitude politique de « M. Binet, membre de notre Cercle, maire de Beauséjour, 19