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AGR

On conduisit Néron dans l’île de Ponsa, où il ne tarda pas à mourir, sans qu’on sache de quelle mort, et Drusus, déclaré ennemi de l’État, fut détenu dans le palais. (Voy. Drusus.) Agrippine vécut encore quatre ans, jusqu’à l’an 55 de J.-C. On ignore si elle se laissa mourir de faim ou si Tibère lui refusa la nourriture, pour donner a croire qu’elle périssait volontairement. Il eut la bassesse de charger d’outrages sa mémoire, l’accusant d’adultère avec Gallus, et ajoutant que la mort de son amant lui avait inspiré ce dégoût de la-vie. Tacite la défend contre ce reproche, en disant : « Agrippine ne pouvait supporter l’égalité, « elle était avide de domination ; les soucis qui appartiennent « aux hommes avaient remplace chez elle « les vices de son sexe. » Tibère, dans la lettre qu’il écrivit au sénat, se vanta de ce qu’il n’avait pas fait étrangler ni exposer aux gémonies sa belle-fille, et le sénat le remercie de sa clémence. Q. R-y.


AGRIPPINE, fille de Germanicus et d’Agrippine, naquit dans la cité des Ubiens, sur les bords du Rhin. Elle n’avait que quatorze ans lorsque Tibère lui donna pour époux Cn. Domitius Ahenobarbus, dont elle eut un fils, qui d’abord porta le nom de son père. Domitius étant mort, Agrippine mena une vie scandaleuse, et Caligula son frère l’exila, non par amour de la vertu, puisque ses liaisons incestueuses avec elle et avec Drusille, son autre sœur, n’avaient que trop éclaté, mais par caprice, ou peut-être par jalousie. Après le meurtre de Caligula, Claude monta sur le trône, et Agrippine fut rappelée. Elle devint alors la femme de Crispus Passienus, patricien d’une illustre famille, et le fit assassiner, pour posséder ses biens qu’il lui avait légués. Agrippine eut un grand pouvoir sur l’esprit de Claude, et l’on pense que Messaline, non moins cruelle que débauchée, l’aurait fait périr, si elle n’avait pas eu d’autres projets à exécuter. Après la mort de cette femme, Agrippine, aidée par les intrigues de l’affranchi Pallas, régna entièrement sur le cœur de l’imbécile Claude, qui était son oncle, et exerça sous son nom toute l’autorité. Elle maria son fils à Octavie, fille de l’empereur. Lucius Vitellius, père de celui qui parvint ensuite à l’empire, exerçait alors la censure. Agrippine lui ordonna de porter contre L. Silanus, fiancé d’Octavie, une accusation d’inceste avec sa sœur, et Silnuus fut chasse du sénat. Peu après, l’oncle et la nièce, qui avaient eux-mêmes depuis longtemps un commerce incestueux, levèrent le masque, et ils voulurent que le sénat légitimât leur union ; ce qu’ils obtinrent sans peine. Il y eut même des pères conscrits qui, dans l’excès de leur zèle, déclarèrent que, si l’empereur balançait à prendre ce parti, ils auraient recours à la contrainte. Silanus se donna la mort le jour même ou le mariage fut célébré. Rome prit alors un autre aspect ; l’empire fut entièrement asservi à une femme qui, non moins esclave de ses passions que Messaline, avait dans le caractère une bien plus grande énergie. Les Romains eurent le spectacle, nouveau pour eux, d’une impératrice, accompagnant jusque dans les cours de justice le fantôme de souverain qu’elle gouvernait. Pour plaire au peuple, Agrippine rappela Sénèque de l’exil, et le nomma précepteur de son fils. Ce même fils, l’objet d’une affection aveugle, et qui devait donner au monde le spectacle de la plus effroyable ingratitude, devint, par son mariage avec Octavie, l’égal de Britannicus, fils de l’empereur. Ce n’était pas assez pour Agrippine : après avoir fait périr, par l’absurde accusation de magie, Lollia Paulina, qui lui avait disputé la main de l’empereur, elle fit adopter par Claude, son fils, qui fut alors appelé Néron. L’affranchi Pallas, lié avec Agrippine par un commerce criminel, s’était chargé de porter Claude à cet acte aussi injuste que dénaturé. Le sénat, toujours abject, décerna en cette circonstance à Agrippine le titre d’Auguste. L’élévation de ce fils était sa plus chère pensée ; et lorsqu’on lui avait prédit qu’il parviendrait à l’empire, mais qu’il la ferait mourir, elle avait répondu : « Qu’il me tue, pourvu qu’il règne ! » Cette même année, Agrippine établit dans la cité des Ubiens, où elle était née, une colonie qui s’appela de son nom, Colonia Agrippinensis : c’est aujourd’hui la ville de Cologne. Chaque jour fournissait une preuve nouvelle que sa puissance était à son comble. Lorsque le brave Caractacus, chef des Silures, peuples de la Grande-Bretagne, forcé de céder à la fortune de Rome, parut comme captif devant Claude, il rendit à Agrippine les mêmes hommages qu’à l’empereur. Peu de temps après, l’impératrice, habillée d’une casaque militaire tissue d’or, présida au combat naval livré sur le lac Fucin. Claude y donna aux Romains l’atroce divertissement de voir jusqu’à 40,000 hommes, tous criminels à la vérité, s’acharner les uns contre les autres, comme s’ils eussent été ennemis. Quand le massacre eut duré longtemps, on voulut bien permettre à ceux qui n’avaient pas péri de survivre à ces horribles jeux. Agrippine sacrifia ensuite Domitia Lépida, sœur de Cnéus Domitius son ancien mari, comme elle avait sacrifié Lollia Paulina ; elle l’accusa d’avoir employé des sortilèges pour parvenir épouser l’empereur, et força Néron à servir de témoin contre Lépida sa tante. Le véritable crime de cette femme était d’avoir disputé à Agrippine son influence sur le cœur de Néron, par des moyens que lui avait suggérés son immoralité, égale à celle d’Agrippine. Claude devint malade, et Agrippine employa la fameuse Locuste pour l’empoisonner. Selon Tacite, le médecin Xénophon hâta sa mort, en lui donnant une nouvelle dose de poison, sous prétexte de lui administrer un remède. Suétone rapporte d’autres particularités, mais il parle aussi d’empoisonnement. On cacha la mort de l’empereur aussi longtemps qu’il fut nécessaire pour que Néron fût proclamé. Burrhus, chef des cohortes prétoriennes, eut la plus grande part à cet événement, qui soumit Rome et l’univers au plus cruel des tyrans. À peine Néron fut-il empereur, qu’Agrippine se hâta de faim condamner à mort l’affranchi Narcisse, qui l’avait offensée par ses discours et par son attachement à Britannicus. Il se tua lui-même, et Zonare assure que ce fut sur le tombeau de Messaline. Agrippine fit ensuite emprisonner le proconsul Julius Silanus. Elle voulait même, avant que les funérailles de Claude fussent achevées, sa-