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ALI

dominée par le château du Lac oo commandait Ali. On l’avait réduit, il est vrai, par la défection de son armée, à la défense de l’enceinte palissadée ; mais cette défense pouvait d’autant plus se prolonger, qu’il était resté maître de la navigation du lac, au moyen d’une escadrille de chaloupes canonnières. En arrivant devant Janina, les Turcs détruisirent une partie de la ville et en chassèrent les habitants pour s’y fortifier ; Ali, de son côté, se vit forcé, pour les en déloger, de détruire l’autre partie de la place, qui fut ainsi tout entière réduite en cendres et mise au pillage (août 1820). Mais les foudres de l’armée turque se trouvèrent impuissantes pour réduire trois forteresses hérissées de bouches à feu et servies par de bons artilleurs. La garnison d’Ali, forte de 8,000 hommes intimement liés à sa cause, était composée en grande partie de Francs ou Européens. Les trois forteresses d’ailleurs conservaient entre elles une communication facile sous la protection de leurs batteries et de la flottille. Le château avait des vivres et des munitions pour cette longue défense. À défaut de moyens militaires, Pacho-Bey jugea qu’il fallait employer des manœuvres politiques : ce fut ainsi qu’il noua des intrigues dans la garnison, et qu’il entama des négociations pour amener les fils d’Ali à se soumettre. Véli était retranché dans Prévesa, et Moukhtar occupait la citadelle d’Argyro-Castron. Les négociations eurent le plus prompt succès ; et le malheureux apprit bientôt la défection de ses trois fils. Au milieu de tant de revers, conservant un calme admirable, il se contenta de répondre : « Je savais depuis longtemps que mes fils étaient indignes de mon sang. » Cependant toutes les chances ne lui étaient pas contraires. L’armée ottomane se trouva dans une position que les approches de l’hiver rendaient plus difficile. Les corvées, l’épuisement des magasins, la dévastation des villages, la perte des maisons, firent presque regretter aux chrétiens le gouvernement d’Ali ; et déjà ils redoutaient le succès d’un siége qui ne devait aboutir qu’à leur donner des chaînes encore plus pesantes. De son côté, Ali se montrait au-dessus de toutes les infortunes. Dès le point du jour, donnant des audiences à l’entrée de sa casemate, il s’entretenait familièrement avec ses soldats, plaisantant avec gaieté sur l’anathème lancé contre lui. « Les lâches, disait-il, me regretteront un jour ; ils apprendront, par les maux qui viendront après moi, de quoi étaient capables le vieux lion et les braves attachés à sa fortune. » En effet, on ne peut douter que cette guerre suscitée contre Ali n’ait allumé les feux qui ont embrasé la Grèce, et qui ont mis l’empire du croissant sur le penchant de sa ruine. Le divan lui-même avait soulevé contre le vieux lion toutes les passions capables d’enflammer le cœur humain : il avait appelé au partage de ses dépouilles les Albanais, les Souliotes, les Toxides, etc. Au milieu de l’adversité, et profitant de ces mêmes passions, Ali sut ramener à lui tous ces peuples égarés. La situation de l’armée turque devint très-critique. Les désertions y furent si nombreuses, qui rentrée de l’hiver, Pacho-Bey, après des tentatives inutile sur les forts de Janina, se vit contraint de se retirer. Le Grand Seigneur, indigné d’un tel résultat, nomma pour le remplacer Khourschid— Méhémed-Pacha, ancien grand vizir, et alors pacha de la Morée. C’était un vieillard connu par sa rigueur inflexible ; il joignait à la fermeté militaire la ruse si nécessaire avec un tel ennemi. Il se rendit promptement à son poste, et y conduisit des renforts qui porteront son armée à 50,000 hommes. De son côté, Ali ne négligeait rien pour assurer sa défense, et préparait de grandes diversions ; il fit soulever les Monténégrins, les Serviens, etc. Les Arnautes échappés au sac de Janina se réunirent aux Armatolis dans les montagnes. Enfin, depuis les bouches du Cattaro jusqu’à celles du Danube, Ali suscita des ennemis aux Turcs ; et ce fut un spectacle assez bizarre que de voir un satrape, qui réunissait en lui les mœurs et tous les gouts voluptueux et féroces des tyrans de l’antiquité ou de l’Orient moderne, entrer dans une conspiration destinée a rendre la liberté aux Grecs. Ali était assiégé depuis dix-huit mois, lorsque Khourschid vint prendre le commandement de l’armée de siége. Ce nouveau chef, par l’ascendant de son caractère, domina bientôt toutes les rivalités ; il poussa les opérations avec tant d’intelligence et de vigueur, que, bien qu’obligé d’envoyer des détachements sur divers points, et de marcher lui-même contre les Albanais, il força le vieux lion à se réfugier dans une tour avec une centaine d’hommes les plus dévoués. Sous ce dernier asile Ali avait placé une grande quantité de poudre, et il annonça résolution de faire sauter l’édifice plutôt que de capituler ; mais le rusé Khourschid ne fut point arrêté par cet avertissement. Il ordonna de redoubler le feu, réduisit son ennemi à la dernière extrémité ; et voulant surtout le prendre vivant avec ses richesses, il le força d’entrer en négociations, et le fit à la fin consentir, par de vaines promesses, à se rendre dans une petite île du lac pour y attendre les ordres du sultan. Ces ordres ne se firent pas attendre ; et le 4e jour (5 février 1822), on vint lire au malheureux Ali une sentence de mort. Se voyant alors tombé dans un piège que lui-même avait tant de fois tendu à ses ennemis, il saisit ses armes en s’écriant : « Vous qui violez si lâchement vos serments, croyez-vous prendre Ali comme une femme ! Du premier coup il blesse le sérasquier et tue un de ses officiers ; il s’engage alors entre les siens et les Turcs un combat où le pacha tombe percé de plusieurs baltes. Ses gens accablés sont égorgés au cri de Vive le sultan Mahmoud et son vizir Khourschid-Pacha  ! On porte aussitôt à celui-ci le cadavre sanglant et on le place sur un pieu au milieu de la ville, et sous les yeux des Albanais et des Grecs, qui purent contempler à leur aise les tristes restes de celui qui les avait si longtemps épouvantés. Si l’on en croit la relation qui fut publiée à Constantinople, ce tragique denoûment ne se serait pas passé tout à fait ainsi. Il résulterait de cette version que Méhémed-Pacha chargé de faire exécuter le firman de mort, après un court entretien avec Ali, lui aurait plongé son poignard dans le sein, et que le combat