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adressa sa protestation par lettres imprimées, au garde des sceaux, en le priant de la mettre sous les yeux du roi ; à M. Necker et au président de l’assemblée nationale, se plaignant du parti qui la domine, le club des jacobins, espèce de corps législatif qui fait d’avance les décrets. Il se regarde toujours comme membre de l’assemblée constituante ; mais, dit-il, « le parti qui la domine ne m’aurait pas permis, attendu mon refus de prêter le serment civique, de développer devant elle les motifs qui me portent à croire que le système des assignats monnaie achèvera la ruine du royaume. » À la même époque parut une Lettre à ses commettants, au sujet de sa protestation, etc. (in-8° de 56 p.), Elle est accompagnée d’un tableau comparatif du système de Law avec le système des assignats-monnaie. En 1791, Bergasse fit paraître une Réponse au Mémoire de M. de Montesquiou sur les assignats (in-8° de 67 p.) ;Observations préliminaires sur l’état des finances, publié par M. de Montesquiou et adopté par l’assemblée nationale (in-8° de 94 p.) ; et sa Réplique à M. de Montesquieu (in-8° de 104 p, ). Au mois d’août il fit imprimer ses Réflexions sur le projet de constitution présenté à l’assemblée nationale par les comités de constitution et de révision réunis (in-8° de 46 p.) ; projet qu’il appelle une grande absurdité (ce fut la constitution de 1791). Bergasse disait, par une espèce de prophétie qui ne tarda guère à se réaliser : « Quand j’observe l’esprit infernal des factions…, quand je pense que le repos public et la liberté n’ont d’autre appui que l’étrange constitution qu’on nous a donnée, qu’une constitution qu’il sera toujours aisé de renverser, et que des émeutes populaires détruiront avec tout autant de facilité qu’elles l’ont produite, je l’avoue, je ne puis m’empêcher de gémir sur l’avenir désastreux qui nous est préparé ; il me semble que la ruine de cet empire autrefois si florissant va se consommer ; que des crimes plus grands que ceux dont nous nous sommes rendus coupables vont amener de plus grands en malheurs encore ; et qu’une inévitable destinée nous entraîne malgré nous vers des jours plus dés ployables. » Dans ses écrits il prenait toujours le titre de député de la sénéchaussée de Lyon, quoiqu’il ne siégeât plus à l’assemblée, et il avait eu, seul peut-être, la civique délicatesse de refuser constamment (et cependant il n’était pas riche) l’indemnité de dia-huit francs par jour qui était allouée aux membres de l’assemblée constituante. Bergasse s’était alors rapproché du parti de la cour. Il fut invité par Louis XVI, qui avait lu ses écrits avec attention, de recueillir ses idées en un corps d’ouvrage où il exposerait le plan de constitution et de gouvernement qu’il croirait le plus convenable dans ces temps de crise. « Louis XVI espérait peu, dit M. Hennequin, mais il espérait encore ; il croyait du moins que c’était un devoir sacré pour lui que de s’occuper jusqu’au dernier moment du bonheur des peuples confiés à ses soins. » Bergasse fit le travail demandé, mais les événements en empêchèrent la publication. Une copie fut remise au roi. Le manuscrit original, par une fatalité qui à une autre époque eût paru singulière, périt dans l’un des incendies du siège de Lyon. Bergasse avait aussi fait passer au roi divers projets et mémoires qui, après le 10 aout, furent trouvés aux Tuileries dans l’armoire de fer. Déjà il avait été dénoncé, en 1790, pour sa protestation contre les assignats ; un grand nombre de brochures et de pamphlets avaient été dirigés contre lui. Il fut attaqué plus sérieusement dans une lettre que lui adressa l’avocat Loyseau, alors auteur du Journal de constitution de la législation. — Ce qu’avait prédit Bergasse ne tarda pas à s’accomplir. Les mauvais jours de la révolution étaient arrivés. Beaumarchais avait fait représenter, en juin 1792, sur le théâtre du Marais, son drame de la Mère coupable[1], et, par une ignoble et lâche vengeance, à l’époque où le bonnet rouge était violemment posé, dans une journée affreuse, sur la tête du monarque, Bergasse fut comme dévoué aux haines populaires, dans l’odieux personnage de Begearss, anagramme de son nom. Après la fin tragique de Louis XVI, regardant sa carrière politique comme terminée, il s’éloigna de Paris, et voulut chercher un asile dans l’ancienne patrie de ses ancêtres ; mais le passage des Pyrénées était gardé. Il s’était enfin retiré à Tarbes, où il s’applaudissait de se voir rentré dans l’obscurité, lorsqu’il fut arrêté au commencement de juillet 1791, et conduit de brigade en brigade à Paris. Il savait qu’alors le plus sage calcul était de gagner du temps : il se montra faible et souffrant ; et le trajet fut long suivant son désir. Il reçut dans plusieurs communes des témoignages d’intérêt, qu’il aima depuis à rappeler : les traits généreux étaient rares à cette époque. Il citait souvent M. Saulnier, officier de gendarmerie à Orléans, où il avait obtenu de passer huit jours, et qui lui fit remettre, quand il quittait cette ville, comme s’il l’eût oublié, un portefeuille assez bien garni d’assignats, seule monnaie qui existât alors. Avant d’entrer dans Paris, Bergasse avait appris la nouvelle révolution de thermidor : il fut conduit à la Conciergerie ; mais la prudente lenteur de son voyage l’avait sauvé de l’échafaud : il fut jugé dans l’an 5, et fut condamné, comme suspect, à la détention jusqu’à la paix. — Ce fut pendant sa captivité qu’il osa écrire, avec une brûlante énergie, avec une hardiesse de courage bien remarquable, en faveur de Darmaing, dont Vadier avait fait assassiner juridiquement le père. Lorsque le système de la terreur n’était pas encore abandonné et n’avait fait que passer d’un parti à un autre (car, deux mois après le 9 thermidor, la convention en corps avait conduit processionnellement Marat au Panthéon), Bergasse osa dire : Et la convention fléchirait devant une troupe de misérables dévoués à toute l’ignominie des siècles ! Elle ne verrait ni la postérité qui pleure devant elle, ni l’Europe qui attend pour l’admirer ou pour la flétrir! Assise sur les tombeaux ou gisent abattues tant de générations détruites, elle ferait pacte avec leurs bourreaux ! une même enceinte les réunirait! et, dans cette enceinte, il se trouverait

  1. Cette pièce fut portée au théâtre Feydeau en 1797.