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s’était liée, l’art funeste des empoisonnements, qui lui était si connu. Comme on n’a sur cette affaire aucune preuve, l’humeur sombre de Bertholet-Flemaèl s’explique mieux par le fait suivant. Un de ses élèves nommé Carlier annonçait tant de talents que son maître voulut le dégoûter de l’art et arrêter ses progrès en le bornant au métier de broyeur de couleurs. Carlier, qui avait la conscience de ses forces, peignit secrètement un Martyre de St. Denis, qui fut placé dans l’église de ce nom. La vue de ce tableau, remarquable, dit-on, par une excellente couleur, affligea tellement Bertholet qu’il jeta ses pinceaux au feu et ne travailla plus. Ce peintre avait l’esprit orné et de l’élévation dans les idées ; son dessin tient, pour la correction, de celui des grands maîtres d’1talie, qu’il avait choisis pour modèles. Son coloris est vigoureux et sa manière de peindre fort belle. Verse dans la connaissance de l’architecture, il lit bâtir à Liége, sur ses dessins, l’église des Chartreux et celle des Dominicains, qui est une rotonde de fort bon goût. D—·r.

BERTHOLLET (Claude-Louis), chimiste célèbre, né au bourg de Talloire, à deux lieues d’Anneci, le 9 novembre 1748, appartenait, par sa mère, Philiberte Donier, à une des familles nobles de la Savoie : son père était châtelain du lieu. Quoiqu’il ne jouit que d’une fortune médiocre, il n’épargna rien pour son éducation. Du collège d’Anneci, fondé, il y a quatre siècles, par un berger devenu cardinal, Berthollet passa au collège de Chambéri, puis à celui des Provinces à Turin. Ses études de latin et de philosophie achevées, il fut question de choisir une profession. Au lieu des postes brillants et lucratifs qu’aurait pu lui présenter l’Église et l’État, obéissant à l’instinct encore vague qui l’entraînait vers les sciences naturelles, il choisit la médecine, et fut reçu docteur à l’université de Turin, en 1770. Mais soit qu’il crut avoir encore à s’instruire, soit qu’il espérât dans une grande ville de plus utiles succès que dans Anneci ou même à Turin, à l’exemple de beaucoup de jeunes médecins, ses compatriotes, il se rendit à Paris, en 1772. Là c’est aux sciences accessoires de la médecine qu’il consacra ses veilles : mais bientôt l’accessoire devint pour lui l’affaire principale, et la chimie, qui, depuis le commencement du siècle, était sortie des voies tortueuses et obscures qu’elle avait labourées si longtemps, compta un adepte de plus. Mais, pas plus que l’ancienne alchimie, la chimie intérimaire, qui allait mettre au jour une science nouvelle, ne donnait de l’or à ses adorateurs ; et Berthollet, après avoir beaucoup étudié, beaucoup expérimenté, avait toujours à découvrir le grand œuvre de la vie humaine vulgaire, le moyen d’avoir de quoi vivre. Il en était à se poser ce dilemme, quitter Paris ou battre monnaie à Paris avec la médecine, lorsque tout à coup il lui vint une idée. Tronchin, élève de Boerhaave, propagateur de l’inoculation en Hollande, à Genève, à Parme, en France, peu ferme d’ailleurs en sa foi aux médecins et peu aimé de ses confrères, remplissait alors de l’éclat de son nom les journaux et les salons. Or, Tronchin était de Genève : c’était donc presque un compatriote. Tous deux d’ailleurs étaient d’origine française, tous deux descendaient de familles que les guerres religieuses avaient bannies de France. Berthollet imagine de se présenter à l’illustre praticien et ne tarde point à lui dévoiler ses embarras. Dès la première vue, Tronchin, habitué par ses voyages et ses relations avec sa nombreuse client elle à juger les hommes, sut démêler sous les dehors un peu négligés, sous l’air franc et grave du jeune Savoisien, la candeur de son ame et la vivacité de son esprit. Il l’encouragea, lui dit de rester à Paris, et promit de s’occuper de son avenir. Bientôt sa tendresse pour Berthollet fut celle d’un père. Jouissant d’un grand crédit auprès du duc d’Orléans, il le recommanda aux bontés de ce prince, qui aussitôt l’attacha en qualité de médecin à madame de Montesson. Ce n’est pas tout, le goût des sciences était en quelque sorte inné dans la famille d’Orléans. Le régent, au grand scandale de la cour de Louis XIV, avait souvent participé aux expériences chimiques de Homberg ; son fils, indépendamment des études théologiques qui avaient fini par absorber-sa vie, avait cultivé la minéralogie. Guettard, son guide dans ette branche de ses travaux, était resté attaché à son successeur. Ce dernier, à qui la chimie offrait l’attrait le plus vif, avait un laboratoire et un préparateur. Tout fut mis à la disposition de Berthollet. Heureux les princes qui reversent ainsi sur le génie inconnu les faveurs qu’ils ont reçues de la Providence ! heureux les hommes qui, comme Tronchin, aplanissent la carrière au mérite naissant ! Sans Tronchin, sans le duc d’Orléans, qui sait si jamais Berthollet se fût placé au premier rang des chimistes de tous les pays, et s’il eût rendu à l’humanité les services dont elle lui est redevable ! Convaincu que pour se maintenir dans le poste que la science seule lui avait valu, la science vaudrait toujours mieux que les moyens ordinairement employés dans les cours, Berthollet n’eut plus d’autres soins que ceux auxquels Pastreignait le désir de savoir et de découvrir. Abandonnant le terrain des faits connus, il s’appliquait à en constater d’autres ; et les résultats de œs recherches furent consignés dans des mémoires empreinte de cette sagacité, de cette finesse, de cette étendue dont plus tard il devait présenter aux savants le modèle accompli. Dès ce temps (1776-77-78), il lisait ou imprimait ses Expériences sur l’acide tartareuœ, ainsi que celles sur l’acide sulfureux, ses Observations sur l’air, son Mémoire sur les combinaisons des huiles avec les terres, l’aleali volatil et les substances métalliques. Un peu plus tard (17 mars, 9 décembre 1780), il préludait à la chimie organique en lisant ses Recherches sur la nature des substances animales et sur leur rapport avec les substances végétales. C’est encore en 1780 que l’académie des sciences écoutait ses Observations sur la combinaison de l’alcali fixe avec l’acide crayeux. Mais déjà ce corps savant l’avait admis en quelque sorte au nombre de ses membres en le nommant adjoint-chimiste à la place de Bucquet (15 avril 1780) ; cinq ans après (25