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1821 : « L’empereur Alexandre m’a dit, il y a un quart d’heure, qu’il avait écrit à votre sujet à M. de Richelieu pour lui témoigner sa surprise de ce qu’un homme tel que vous ne fût pas traité comme il le mérite sous un gouvernement qu’il a si bien servi. » Cette surprise de l’empereur Alexandre venait de la récente traduction de Bergasse en cour d’assises, pour son Essai sur la propriété, ou Considérations morales et politiques sur la question de savoir s’il faut restituer aux émigrés les héritages dont ils ont été dépouilles dans le cours de la révolution (in-8°, qui eut deux éditions consécutives). On sait que Bergasse plaida lui-même sa cause avec une éloquente énergie que l’âge n’avait point affaiblie[1] ; qu’il confessa courageusement sa foi politique ; qu’il fut aussi défendu par M. Berryer fils ; que l’avocat général Marchangy rendit hommage à ses talents, à ses vertus, et qu’il fut acquitté le 28 avril. Le lendemain, le vicomte, depuis duc de Montmorenci, lui écrivait « Je voulais vous exprimer de nouveau un profond intérêt dont vous étiez sur d’avance, et qui ne venait pas de moi seulement, sur cette malheureuse affaire. La manière dont elle vient d’être terminée en fait un véritable triomphe pour la bonne cause et la morale publique, pour vous qui les avez toujours si éloquemment défendues… Je suis autorisé par une auguste personne à vous exprimer la satisfaction particulière qu’elle en éprouve relativement a vous, etc. » M. de Jouffroy poursuivait en ces termes : « À la manière dont Sa Majesté m’a dit la chose, j’ai pu juger que la lettre devait être de bon style, et je ne doute pas, mon cher et excellent maître, etc… Je vous porterai moi-même la réponse de l’empereur… Vous avez ici de bien bons amis. Je vous transmets les compliments de MM. de Metternich, de Gentz, et même de M. de Capo d’Istria, lequel est bien revenu de ses idées sur le perfectionnement

du siècle, et qui est tout à fait du complot de Laybach, en ce moment, etc. » — Bergasse avait envoyé à Berlin son plaidoyer devant la cour d’assises. Le prince Radzivill écrivait le 16 mai : « …Je n’ai pu me refuser de faire lire cette sublime défense au prince royal, dont la belle âme sent si vivement tout ce qui est noble et beau… Quelle force! Quelle simplicité! C’est la majesté de la vertu, etc… » On voit que la renommée de Bergasse était alors moins haute en France qu’à l’étranger. Je terminerai les extraits de cette correspondance curieuse et inédite, par cette lettre que l’empereur Alexandre adressa à Bergasse, de Sarskte Zelo, le 4 août 1822 : « C’est au moment même de partir pour le congrès de Vérone, que j’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez adressée, en date du 15 juillet. Je n’ai eu le temps que de la parcourir fort à la hâte[2]; mais il m’a suffi d’une seule lecture pour apprécier et cette nouvelle manifestation des principes qui vous distinguent si invariablement, et la sagacité avec laquelle vous les appliquez aux circonstances malheureuses qui accablent l’Espagne. Sous ce rapport je ne puis qu’attacher un intérêt particulier au développement de vos aperçus. Je recevrai donc avec beaucoup de plaisir le travail que vous n’annoncez, et vous invite, monsieur, à me le faire parvenir a l’époque où, réuni aux souverains mes alliés, je serai à même de m’occuper de ces questions fondamentales, auxquelles le bonheur et la tranquillité de l’Europe sont si intimement liés. Je vous en offre d’avance tous mes remerciements, et vous prie, monsieur, d’être assuré de ma plus sincère estime. « Alexandre. » Bergasse influa donc sur la guerre d’Espagne, et sur l’intervention de la France qui, suivant la déclaration de M. de Villèle, fut exigée par les souverains étrangers. Fut-ce un service rendu à la France et à l’Europe ? Cette question ne paraît pas avoir été favorablement résolue dans la Péninsule. Depuis 1812, Bergasse, qui était attaché aux Bourbons, mais qui détestait leurs ministres, surtout M. de Villèle ; Bergasse, qui blâmait hautement le licenciement des gardes nationales, et presque toutes les mesures du gouvernement, cessa ses publications politiques, et écrivit peu dans sa retraite au sein de sa famille. Il se montrait mécontent du présent, et s’effrayait de l’avenir. Il était octogénaire quand la révolution de 1850 arriva. Elle lui fit perdre une pension de 6 000 francs, et ce ne fut pas là ce qu’il regretta. Il avait été compris comme conseiller d’État dans les petites ordonnances jointes aux grandes ordonnances du 25 juillet. Il s’éteignit sans souffrance, et parut s’endormir en recevant le dernier sacrement des mourants, le 28 mai 1852. Il avait épousé, en 1792, mademoiselle du Petit-Thouars, sœur du naturaliste de ce nom. Il a laissé un fils, héritier de ses vertus, et qui a préféré à l’active culture des lettres celle des champs, c’est-à·dire le bonheur à la renommée. On trouve dans le Rénovateur, t. 2, 9 juin 1852, et dans la Gazette de Normandie, n° 155, deux notices, l’une de M. Hennequin, l’autre de M. Alphonse Bergasse neveu, sur un écrivain célèbre dont on peut dire que s’il divisa les opinions sur ses idées politiques, il les réunit dans un même hommage rendu à ses talents et a ses vertus[3].


BERGASSE (Alexandre), frère du précédent, s’était formé à Lyon une existence honorable dans la commerce. Sa réputation de vertu et de probité l’avait fait nommer un des administrateurs des hospices, seule fonction publique qu’il ait acceptée, et qui

  1. Cette défense fut imprimée sous le titre de Discours, in-8° de 22 pages. On la trouve aussi à la fin de la seconde édition de l’Essai sur la Propriété.
  2. 2)"Ces lettres de Bergasse étaient de longs mémoires politiques, dont la publication serait très-curieuse pour l'histoire de cette époque.
  3. Parmi les écrits de Bergasse, il faut compter sa Requête au roi sur l’institution de Ste-Périne de Chaillot, publiée sous le nom du baron du Chaila, en 1814 ; elle eut deux éditions (la seconde porte le nom de Bergasse), ln-8° de S9 p. Il est douteux, malgré ce que dit l’auteur du Dictionnaire des Anonymes, que Bergasse ait été le collaborateur de son ami Peltier, dans la rédaction des Actes des Apôtres, et plus douteux encore qu’il ait composé, avec M. de Puységur, la Journée des Dupes, pièce tragi-politi-comique, représentée sur le théâtre National par les grands comédiens de la Patrie, 1788, ln·8°.