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il passa encore une année dans Rome, et se chargea même d’une autre cause qui devait aussi déplaire au dictateur ; mais sa santé affaiblie par des travaux excessifs, et peut-être la crainte d’avoir trop bravé Sylla, le déterminèrent à voyager. Il se rendit à Athènes qui semblait toujours la métropole des lettres ; et, logé chez un philosophe académicien, recherché des philosophes de toutes les sectes, assistant aux leçons des maîtres d’éloquence, il y passa six mois avec son cher Atticus, dans les plaisirs de l’étude et des savants entretiens. On rapporte à cette même époque son initiation aux mystères d’Éleusis. À la mort de Sylla, il quitta la Grèce et prit la route de l’Asie, s’entourant des plus célèbres orateurs asiatiques et s’exerçant avec eux. À Rhodes, il vit le fameux Possidonius, et retrouva Molon qui lui donna de nouvelles leçons, et s’attacha surtout à corriger sa trop grande abondance. Un jour, déclamant en grec dans l’école de cet illustre rhéteur, il emporta les applaudissements de tout l’auditoire. Molon seul resta silencieux et pensif. Questionné par le jeune orateur : « Et moi aussi, répondit-il, Cicéron, je te loue et je t’admire ; mais j’ai pitié de la Grèce, quand je songe que le savoir et l’éloquence, les deux seuls biens qui nous étaient demeurés, sont par toi conquis sur nous et transportés aux Romains. » Cicéron revint en Italie, et ses nouveaux succès firent sentir le prix de la science des Grecs, qui n’était pas encore assez estimée dans Rome. Parmi différentes causes, il plaida pour le célèbre comédien Roscius, son ami et son maître dans l’art de la déclamation. Enfin, parvenu à l’âge de trente ans, se voyant au terme de son glorieux apprentissage, ayant tout reçu de la nature, ayant tout fait par le travail, pour réaliser en lui l’idée du parfait orateur, il entra dans la carrière des charges publiques. Il sollicita la questure, office qui, depuis une loi de Sylla, donnait immédiatement la dignité de sénateur. Nommé à la questure de Sicile, dans un temps de disette, il eut besoin de beaucoup d’habileté pour faire passer à Rome une grande partie des blés de cette province, sans trop déplaire aux habitants. Du reste, son administration et les souvenirs qu’en gardèrent les Siciliens prouvent que, dans les conseils admirables qu’il a depuis donnés à son frère Quintus, il ne faisait que rappeler ce qu’il avait pratiqué lui-même. Sa mission expirée, il revint à Rome, véritable théâtre de ses talents. Il continua d’y paraître comme orateur, défendant les causes des particuliers sans autre intérêt que la gloire. Ce fut sans doute un jour honorable pour Cicéron que celui où les ambassadeurs de la Sicile vinrent lui demander vengeance des concussions et des crimes de Verrès. Il était digne de cette confiance d’un peuple affligé. Il entreprit la cause de la Sicile contre son indigne spoliateur, alors tout-puissant à Rome, appuyé du crédit de tous les grands, défendu par l’éloquence d’Hortensius, et pouvant avec le fruit de ses brigandages en acheter l’impunité. Après avoir fait un voyage dans la Sicile pour y recueillir les preuves des crimes, il les peignit des plus vives couleurs dans ses immortelles

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harangues : elles sont au nombre de sept ; les deux premières seulement furent prononcées. L’orateur s’aperçut que les amis de Verrès cherchaient à reculer la décision du procès jusqu’à l’année suivante, où le consulat d’Hortensius devait assurer un grand secours au coupable ; il n’hésita point à sacrifier l’intérêt de son éloquence à celui de sa cause ; il s’occupa uniquement de multiplier le nombre des témoins et de les faire tous entendre. Hortensius resta muet devant la vérité des faits, et Verrés, effrayé, s’exila lui-même. L’ensemble des harangues de Cicéron est demeuré comme le chef-d’œuvre de l’éloquence judiciaire, ou plutôt comme le monument d’une illustre vengeance exercée contre le crime par la vertueuse indignation du génie. À l’issue de ce grand procès, Cicéron commença l’exercice de son édilité ; et dans cette magistrature onéreuse, quoique sa fortune fût peu considérable, il sut par une sage magnificence se concilier la faveur du peuple. Ses projets d’élévation lui rendaient ce secours nécessaire, mais il fallait y joindre l’amitié des grands. Cicéron se tourna vers Pompée, alors le chef de la noblesse, et le premier citoyen de Rome libre. Il se fit le panégyriste de ses actions, et le partisan le plus zélé de sa grandeur. Quand le tribun Manilius proposa de lui confier la conduite de la guerre contre Mithridate, en lui accordant un pouvoir qui effrayait les républicains éclairés, Cicéron, alors préteur, parut à la tribune pour appuyer la loi nouvelle de toute la force de son éloquence. Cette même année, il plaida plusieurs causes. Il prononça son plaidoyer pour Cluentius, dans une affaire criminelle. À cette époque, Catilina, rejeté du consulat, commençait à tramer contre la république, et s’essayait à une révolution. Ce factieux, accusé de concussions dans son gouvernement d’Afrique, fut sur le point d’avoir Cicéron pour défenseur ; mais bientôt la haine éclata entre ces deux hommes si peu faits pour être unis. Cicéron, qui, après sa préture, au lieu d’accepter une province, suivant l’usage, s’était mis sur les rangs pour le consulat, se vit compétiteur de Catilina, qui s’était fait absoudre à prix d’argent. Insulté par cet indigne rival, il le repoussa par une éloquente invective prononcée dans le sénat. Cicéron avait à combattre l’envie de beaucoup de patriciens, qui voyaient en lui un parvenu, un homme nouveau : son mérite et la crainte des projets de Catilina l’emportèrent. Il fut élu premier consul, non pas au scrutin, suivant l’usage, mais à haute voix et par les acclamations unanimes du peuple romain. Le consulat de Cicéron est la grande époque de sa vie politique. Rome se trouvait dans une situation incertaine et violente. Catilina briguait le prochain consulat. En même temps il augmentait le nombre des conjurés, et faisait lever des troupes sous les ordres d’un certain Mallius. Cicéron pourvut à tout. Il importait d’abord de gagner à la république son collègue, Antoine, secrètement uni avec les conjurés ; il s’assura de lui par la cession de sa province consulaire. Une autre précaution non moins salutaire fut de réunir le sénat et l’ordre équestre dans l’intérêt d’une défense commune. Attentif à ménager le peuple, Cicéron ne se