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LES « HAUTS FOURNEAUX »

Mais je ne veux plus y penser. C’est fini, fini. Ah ! Je l’ai bien défendu. En ce moment, il dort. Derrière la porte entr’ouverte, j’entends son souffle paisible et léger.

Je suis seule. Nos voisins Foucard, que je n’aime guère, d’ailleurs, sont à la mer ou aux eaux. Et je n’ai pour confident que ce papier. Au fond, je n’en ai jamais eu d’autres. J’ai toujours été silencieuse. Si je parle, c’est pour parler franc. Alors je gêne et je m’arrête. Pourtant, j’aurais dû m’apprivoiser, à force de voir du monde, depuis vingt-cinq ans. Même avant de devenir la femme de Pierre Ciboure, chez mes parents, que de gens illustres ou notoires j’ai vu défiler ! Car mon père, un des plus grands chirurgiens de son époque, avec Pozzi et Segond, adorait recevoir. Non. Rien ne m’a guérie de ma sauvagerie. Clemenceau, qui fréquentait notre maison, m’appelait la Jolie Huronne. Jolie, j’ai pu l’être. Huronne, je le suis toujours.

Je crois bien que mon mari m’a encore repliée sur moi-même. Brusque et jovial, avide et pressé, il m’a toujours déconcertée.

Même avant qu’il eût des maîtresses, il était déjà tout accaparé par ses énormes entreprises métallurgiques, ces industries qu’il commande,