Page:Michelet - Quinet - Des jésuites, 1843.djvu/14

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ne contraint que les actes. Cette police atteindrait jusqu’aux pensées.

Les habitudes même de la pensée changeant peu à peu, l’âme, altérée dans ses profondeurs, deviendrait d’autre nature à la longue.

Une âme menteuse et flatteuse, tremblante et méchante, qui se méprise elle-même, est-ce encore une âme ?

Changement pire que la mort même… La mort ne tue que le corps ; mais l’âme tuée, que reste-t-il ?

La mort, en vous tuant, vous laisse vivre en vos fils. Ici, vous perdriez et vos fils, et l’avenir.

Le jésuitisme, l’esprit de police et de délation, les basses habitudes de l’écolier rapporteur, une fois transportés du collége et du couvent dans la société entière, quel hideux spectacle !… Tout un peuple vivant comme une maison de jésuites, c’est-à-dire du haut en bas, occupé à se dénoncer. La trahison au foyer même, la femme espion du mari, l’enfant de la mère… Nul bruit, mais un triste murmure, un bruissement de gens qui confessent les péchés d’autrui, qui se travaillent les uns les autres et se rongent tout doucement.

Ceci n’est pas, comme on peut croire, un tableau d’imagination. Je vois d’ici tel peuple que les jésuites enfoncent chaque jour d’un degré dans cet enfer des boues éternelles.