Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/13

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engendre toutes choses monstrueuses, toutes choses prodigieuses, abominables, inexprimables, et pires que ce que la fable inventa ou la frayeur conçut : gorgones et hydres et chimères effroyables. »

Ici le mot répété many est traduit par notre vieux mot maintes, qui donne à la fois la traduction littérale et presque la même consonance. Le fameux vers monosyllabique si admiré des Anglais :

Rocks, caves, lakes, fens, bogs, dens, and shades of death,

j’ai essayé de le rendre par les monosyllabes rocs, lacs, mares, gouffres, antres et ombres de mort, en retranchant les articles. Le passage rendu de cette manière produit des effets d’harmonie semblables ; mais, j’en conviens, c’est un peu aux dépens de la syntaxe. Voici le même passage, traduit dans toutes les règles de la grammaire par Dupré de Saint-Maur :

« En vain traversaient-elles des vallées sombres et hideuses, des régions de douleur, des montagnes de glace et de feu ; en vain franchissaient-elles des rochers, des fondrières, des lacs, des précipices et des marais empestés ; elles retrouvaient toujours d’épouvantables ténèbres, les ombres de la mort, que Dieu forma dans sa colère, au jour qu’il créa les maux inséparables du crime. Elles ne voyaient que des lieux où la vie expire, et où la mort seule est vivante : la nature perverse n’y produit rien que d’énorme et de monstrueux ; tout en est horrible, inexprimable, et pire encore que tout ce que les fables ont feint, ou que la crainte s’est jamais figuré de Gorgones, d’Hydres et de Chimères dévorantes. »

Je ne parle point de ce que le traducteur prête ici au texte ; c’est au lecteur à voir ce qu’il gagne ou perd par cette paraphrase ou par mon mot à mot. On peut consulter les autres traductions, examiner ce que mes prédécesseurs ont ajouté ou omis (car ils passent en général les endroits difficiles), peut-être en résultera-t-il cette conviction que la version littérale est ce qu’il y a de mieux pour faire connaître un auteur tel que Milton.

J’en suis tellement convaincu que dans l’Essai sur la Littérature anglaise, en citant quelques passages du Paradis perdu, je me suis légèrement éloigné du texte : eh bien ! qu’on lise les mêmes passages dans la