Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/131

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à l’orient, entre ces arbres, quelle forme glorieuse s’avance par ce chemin ! elle semble une autre aurore levée à midi. Ce messager nous apporte peut-être quelque grand commandement du ciel et daignera ce jour être notre hôte. Mais va vite, et ce que contiennent tes réserves, apporte-le ; prodigue l’abondance convenable pour honorer et recevoir notre divin étranger. Nous pouvons bien offrir leurs propres dons à ceux qui nous les donnent, et répandre largement ce qui nous est largement accordé, ici où la nature multiplie sa fertile production et en s’en débarrassant devient plus féconde ; ce qui nous enseigne à ne point épargner. »

Ève lui répond :

« Adam, moule sanctifié d’une terre inspirée de Dieu, peu de provisions sont nécessaires, là où ces provisions en toutes les saisons mûrissent pour l’usage suspendues à la branche, excepté des fruits qui dans une réserve frugale, acquièrent de la consistance pour nourrir et perdent une humidité superflue. Mais je me hâterai, et de chaque rameau et de chaque tige, de chaque plante et de chaque courge succulente, j’arracherai un tel choix pour traiter notre hôte angélique, qu’en le voyant il avouera qu’ici sur la terre Dieu a répandu ses bontés comme dans le ciel. »

Elle dit et part à la hâte avec des regards empressés, préoccupée de pensées hospitalières. Comment choisir ce qu’il y a de plus délicat ? quel ordre suivre pour ne pas mêler les goûts, pour ne pas les assortir inélégants, mais pour qu’une saveur succède à une saveur relevée par le changement le plus agréable ? Ève court, et de chaque tendre tige elle cueille ce que la terre, cette mère qui porte tout, donne à l’Inde orientale ou occidentale, aux rivages du milieu, dans le Pont, sur la côte punique, ou sur les bords qui virent régner Alcinoüs ; fruits de toutes espèces, d’une écorce raboteuse ou d’une peau unie, renfermés dans une bogue ou dans une coquille ; large tribut qu’Ève recueille et qu’elle amoncelle sur la table d’une main prodigue. Pour boisson elle exprime de la grappe un vin doux et inoffensif ; elle écrase diffé-