Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/132

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rentes baies, et des douces amandes pressées, elle mélange une crême onctueuse ; elle ne manque point de vases convenables et purs pour contenir ces breuvages. Puis elle sème la terre de roses, et des parfums de l’arbrisseau qui n’ont point été exhalés par le feu.

Cependant notre premier père pour aller à la rencontre de son hôte céleste s’avance hors du berceau, sans autre suite que celle de ses propres perfections : en lui était toute sa cour ; cour plus solennelle que l’ennuyeuse pompe que traînent les princes, alors que leur riche et long cortège de pages chamarrés d’or, de chevaux conduits en main, éblouit les spectateurs et les laisse la bouche béante. Dès qu’il fut en présence de l’archange, Adam, quoique non intimidé, toutefois avec un abord soumis et une douceur respectueuse, s’inclinant profondément comme devant une nature supérieure, lui dit :

« Natif du ciel (car aucun autre lieu que le ciel ne peut renfermer une si glorieuse forme), puisque en descendant des trônes d’en haut tu as consenti à te priver un moment de ces demeures fortunées, et à honorer celles-ci, daigne avec nous, qui ne sommes ici que deux, et qui cependant, par un don souverain, possédons cette terre spacieuse, daigne te reposer sous l’ombrage de ce berceau : viens t’asseoir pour goûter ce que ce jardin offre de plus choisi, jusqu’à ce que la chaleur du midi soit passée, et que le soleil plus refroidi décline. »

L’angélique vertu lui répondit avec douceur :

« Adam, c’est pour cela même que je viens ici : tu es créé tel, ou tu as ici un tel séjour pour demeure, que cela peut souvent inviter les esprits mêmes du ciel à te visiter. Conduis-moi donc où ton berceau surombrage ; car de ces heures du milieu du jour jusqu’à ce que le soir se lève, je puis disposer. »

Ils arrivèrent à la demeure sylvaine qui, semblable à la retraite de Pomone, souriait parée de fleurs et de senteurs charmantes. Mais Ève, non parée, excepté d’elle-même (plus aimablement belle qu’une nymphe des bois, ou que la plus belle des