Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/137

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par ceci nous nous maintenons ou nous tombons. Quelques-uns sont tombés parce qu’ils sont tombés dans la désobéissance ; et ainsi du haut du ciel ils ont été précipités dans le plus profond Enfer : ô chute ! de quel haut état de béatitude dans quel malheur ? »

Notre grand ancêtre :

« Attentif à tes paroles, divin instructeur, je les ai écoutées d’une oreille plus ravie que du chant des chérubins, quand la nuit, des coteaux voisins, ils envoient une musique aérienne. Je n’ignorais pas avoir été créé libre de volonté et d’action ; nous n’oublierons jamais d’aimer notre Créateur, d’obéir à celui dont l’unique commandement est toutefois si juste : mes constantes pensées m’en ont toujours assuré, et m’en assureront toujours. Cependant ce que tu dis de ce qui s’est passé dans le ciel fait naître en moi quelque doute, mais un plus vif désir encore, si tu y consens, d’en entendre le récit entier ; il doit être étrange et digne d’être écouté dans un religieux silence. Nous avons encore beaucoup de temps, car à peine le soleil achève la moitié de sa course, et commence à peine l’autre moitié dans la grande zone du ciel. »

Telle fut la demande d’Adam : Raphaël consentant après une courte pause, parla de la sorte :

« Quel grand sujet tu m’imposes, ô premier des hommes ! tâche difficile et triste ! car comment retracerai-je aux sens humains les invisibles exploits d’esprits combattants ? comment, sans en être affligé, raconter la ruine d’un si grand nombre d’anges autrefois glorieux et parfaits, tant qu’ils restèrent fidèles ? Comment enfin dévoiler les secrets d’un autre monde, qu’il n’est peut-être pas permis de révéler ? Cependant pour ton bien toute dispense est accordée. Ce qui est au-dessus de la portée du sens humain, je le décrirai de manière à l’exprimer le mieux possible, en comparant les formes spirituelles aux formes corporelles : si la terre est l’ombre du ciel, les choses, dans l’une et l’autre, ne peuvent-elles se ressembler plus qu’on ne le croit sur la terre ?