Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/143

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quement pour délibérer avec quels nouveaux honneurs nous pouvons le mieux recevoir celui qui vient recevoir de nous le tribut du genou, non encore payé, vile prosternation ! À un seul, c’était déjà trop ; mais le payer double, comment l’endurer ? le payer au premier et à son image maintenant proclamée ! Mais qu’importe si de meilleurs conseils élèvent nos esprits, et nous apprennent à rejeter ce joug ?

« Voulez-vous tendre le cou ? Préférez-vous fléchir un genou assoupli ? Vous ne le voudrez pas, si je me flatte de vous bien connaître, ou si vous vous connaissez vous-mêmes pour natifs et fils du ciel que personne ne posséda avant nous. Si nous ne sommes pas tous égaux, nous sommes tous libres, également libres : car les rangs et les degrés ne jurent pas avec la liberté, mais s’accordent avec elle. Qui donc, en droit ou en raison, peut s’arroger la monarchie parmi ceux qui, de droit, vivent ses égaux, sinon en pouvoir et en éclat, du moins en liberté ?

« Qui peut introduire des lois et des édits parmi nous, nous qui, même sans lois, n’errons jamais ? Beaucoup moins celui-ci peut-il être notre maître, et prétendre à notre adoration au détriment de ces titres impériaux qui attestent que notre être est fait pour gouverner, non pour servir ? » —

« Jusque-là ce hardi discours avait été écouté sans contrôle, lorsque parmi les séraphins, Abdiel (personne avec plus de ferveur n’adorait Dieu et n’obéissait aux divins commandements), se leva et dans le feu d’un zèle sévère s’opposa ainsi au torrent de la furie de Satan :

« — Ô argument blasphématoire, faux et orgueilleux ! paroles qu’aucune oreille ne pouvait s’attendre à écouter dans le ciel, moins encore de toi que de tous les autres, ingrat, élevé si haut toi-même au-dessus de tes pairs ?

« Peux-tu, avec une obliquité impie, condamner ce juste décret de Dieu, prononcé et juré : que devant son Fils unique, investi par droit du sceptre royal, toute âme dans le ciel ploiera le genou, et par cet honneur dû le confessera Roi légitime ?