Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/150

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« Au milieu des siens, l’apostat, élevé comme un dieu, était assis sur son char de soleil, idole d’une majesté divine, entouré de chérubins flamboyants et de boucliers d’or. Bientôt il descendit de ce trône pompeux, car il ne restait déjà plus entre les deux armées qu’un espace étroit (intervalle effrayant !) et front contre front elles présentaient arrêtées une terrible ligne d’une affreuse longueur. À la sombre avant-garde, sur le rude bord des bataillons, avant qu’ils se joignissent, Satan à pas immenses et superbes, couvert d’une armure d’or et de diamant, s’avançait comme une tour, Abdiel ne put supporter cette vue ; il se tenait parmi les plus braves, et se préparait aux plus grands exploits ; il sonde ainsi son cœur résolu :

« — Ô Ciel ! une telle ressemblance avec le Très-Haut peut-elle rester où la foi et la réalité ne restent plus ? Pourquoi la puissance ne défaut-elle pas là où la vertu a failli, ou pourquoi le plus présomptueux n’est-il pas le plus faible ? Quoique à le voir Satan semble invincible, me confiant au secours du Tout-puissant, je prétends éprouver la force de celui dont j’ai déjà éprouvé la raison fausse et corrompue : n’est-il pas juste que celui qui l’a emporté dans la lutte de la vérité l’emporte dans les armes, vainqueur pareillement dans les deux combats ? Si le combat est brutal et honteux quand la raison se mesure avec la force, encore il est d’autant plus juste que la raison triomphe. » —

« Ainsi réfléchissant il sort à l’opposite du milieu de ses pairs armés ; il rencontre à mi-voie son audacieux ennemi, qui, se voyant prévenu en devient plus furieux ; il le défie ainsi avec assurance :

« — Superbe, vient-on au devant de toi ? Ton espérance était d’atteindre inopposé la hauteur où tu aspires, d’atteindre le trône de Dieu non gardé et son côté abandonné par la terreur de ton pouvoir ou de ta langue puissante. Insensé ! tu ne songeais pas combien il est vain de se lever en armes contre le Tout-Puissant, contre celui qui des plus petites choses aurait pu lever sans fin d’incessantes armées pour écraser ta folie ;