Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/165

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sanctuaire des cieux, pesant l’ensemble des choses, n’avait prévu ce tumulte et n’avait tout permis pour accomplir son grand dessein : honorer son Fils consacré, vengé de ses ennemis, et déclarer que tout pouvoir lui était transféré. À ce Fils, assesseur de son trône, il adresse ainsi la parole :

« — Splendeur de ma gloire, Fils bien aimé, Fils sur le visage duquel est vu visiblement ce que je suis invisible dans ma divinité, toi dont la main exécute ce que je fais par décret, seconde omnipotence ! deux jours sont déjà passés (deux jours tels que nous comptons les jours du ciel) depuis que Michel est parti avec ses puissances pour dompter ces désobéissants. Le combat a été violent, comme il était très-probable qu’il le serait, quand deux pareils ennemis se rencontrent en armes : car je les ai laissés à eux-mêmes, et tu sais qu’à leur création je les fis égaux, et que le péché seul les a dépareillés, lequel encore a opéré insensiblement, car je suspends leur arrêt : dans un perpétuel combat il leur faudrait donc nécessairement demeurer sans fin, et aucune solution ne serait trouvée. « La guerre lassée a accompli ce que la guerre peut faire, et elle a lâché les rênes à une fureur désordonnée, se servant de montagnes pour armes ; œuvre étrange dans le ciel et dangereuse à toute la nature. Deux jours se sont donc écoulés ; le troisième est tien : à toi je l’ai destiné, et j’ai pris patience jusque ici afin que la gloire de terminer cette grande guerre t’appartienne, puisque nul autre que toi ne la peut finir. En toi j’ai transfusé une vertu, une grâce si immense, que tous, au ciel et dans l’enfer, puissent connaître ta force incomparable : cette commotion perverse ainsi apaisée, manifestera que tu es le plus digne d’être héritier de toutes choses, d’être héritier et d’être roi par l’onction sainte, ton droit mérité. Va donc, toi, le plus puissant dans la puissance de ton Père ; monte sur mon chariot, guide les roues rapides qui ébranlent les bases du ciel ; emporte toute ma guerre, mon arc et mon tonnerre ; revêts mes toutes-puissantes armes, suspends mon épée à ta forte cuisse. Poursuis ces fils des ténèbres,