Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/17

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Milton avait l’esprit rempli des idées et des controverses religieuses ; quand il fait parler les démons, il rappelle ironiquement dans son langage les cérémonies de l’Église romaine ; quand il parle sérieusement, il emploie la langue des théologues protestants. Il m’a semblé que cette observation oblige à traduire avec rigueur l’expression miltonienne, faute de quoi on ne ferait pas sentir cette partie intégrante du génie du poëte, la partie religieuse. Ainsi, dans une description du matin, Milton parle de la charmante heure de Prime : je suis persuadé que Prime est ici le nom d’un office de l’église ; il ne veut pas dire première ; malgré ma conviction je n’ai pas risqué le mot prime, quoique à mon avis il fasse beauté, en rappelant la prière matinale du monde chrétien.


L’astre avant-coureur de l’aurore,
Du soleil qui s’approche annonce le retour,
Sous le pâle horizon l’ombre se décolore :
Lève-toi dans nos cœurs, chaste et bienheureux jour.

Sous le pâle horizon l’ombre se décoloreRacine.


Une autre beauté, selon moi, qui se tire encore du langage chrétien, c’est l’affectation de Satan à parler comme le Très-Haut ; il dit toujours ma droite au lieu de mon bras : j’ai mis une grande attention à rendre ces tours ; ils caractérisent merveilleusement l’orgueil du prince des ténèbres.

Dans les cantiques que le poëte fait chanter aux anges, et qu’il emprunte de l’Écriture, il suit l’hébreu, et il ramène quelques mots en refrain au bout du verset : ainsi praise termine presque toutes les strophes de l’hymne d’Adam et d’Ève au lever du jour. J’ai pris garde à cela, et je reproduis à la chute le mot louange : mes prédécesseurs n’ayant peut-être pas remarqué le retour de ce mot, ont fait perdre aux vers leur harmonie lyrique.

Lorsque Milton peint la création il se sert rigoureusement des paroles de la Genèse, de la traduction anglaise : je me suis servi des mots français de la traduction de Sacy, quoiqu’ils diffèrent un peu du texte anglais : en des matières aussi sacrées j’ai cru ne devoir reproduire qu’un texte approuvé par l’autorité de l’Église.

J’ai employé, comme je l’ai dit encore[1], de vieux mots ; j’en ai fait

  1. Avertissement de l’Essai.