Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/182

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calme ; des poissons d’une masse prodigieuse, d’un port énorme, se vautrant pesamment, font une tempête dans l’océan. Là Léviathan, la plus grande des créatures vivantes, étendu sur l’abîme comme un promontoire, dort ou nage, et semble une terre mobile ; ses ouïes attirent en dedans et ses naseaux rejettent en dehors une mer.

« Cependant, les antres tièdes, les marais, les rivages, font éclore leur couvée nombreuse de l’œuf qui bientôt se brisant, laisse apercevoir par une favorable fracture les petits tout nus ; bientôt emplumés, et en état de voler, ils ont toutes leurs ailes ; et avec un cri de triomphe, prenant l’essor dans l’air sublime, ils dédaignent la terre qu’ils voient en perspective sous un nuage. Ici l’aigle et la cigogne, sur les roches escarpées et sur la cime des cèdres, bâtissent leurs aires.

« Une partie des oiseaux plane indolemment dans la région de l’air ; d’autres plus sages, formant une figure, tracent leur chemin en commun ; intelligents des saisons, ils font partir leurs caravanes aériennes qui volent au-dessus des terres et des mers, et d’une aile mutuelle facilitent leur fuite : ainsi les prudentes cigognes, portées sur les vents, gouvernent leur voyage de chaque année ; l’air flotte, tandis qu’elles passent, vanné par des plumes innombrables.

« De branche en branche les oiseaux plus petits solacient les bois de leur chant, et déploient jusqu’au soir leurs ailes peinturées : alors même le rossignol solennel ne cesse pas de chanter, mais toute la nuit il soupire ses tendres lais.

« D’autres oiseaux encore baignent dans les lacs argentés et dans les rivières leur sein duveteux. Le cygne, au cou arqué, entre deux ailes blanches, manteau superbe, fait nager sa dignité avec ses pieds en guise de rames : souvent il quitte l’humide élément, et s’élevant sur ses ailes tendues, il monte dans la moyenne région de l’air. D’autres sur la terre marchent fermes : le coq crêté dont le clairon sonne les heures silencieuses, et cet oiseau qu’orne sa brillante queue, enrichie des couleurs vermeilles de l’arc-en-ciel et d’yeux étoilés.