Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/199

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ne me connais ni second, ni semblable, d’égal beaucoup moins. Avec qui donc puis-je converser, si ce n’est avec les créatures que j’ai faites, et celles-ci, à moi inférieures, descendent infiniment plus au-dessous de moi, que les autres créatures au-dessous de toi. » —

« Il se tut ; je repris humblement :

« — Pour atteindre la hauteur et la profondeur de tes voies éternelles, toutes pensées humaines sont courtes. Souverain des choses ! tu es parfait en toi-même, et on ne trouve rien en toi de défectueux : l’homme n’est pas ainsi ; il ne se perfectionne que par degrés : c’est la cause de son désir de société avec son semblable pour aider ou consoler ses insuffisances. Tu n’as pas besoin de te propager, déjà infini, et accompli dans tous les nombres, quoique tu sois un. Mais l’homme par le nombre doit manifester sa particulière imperfection, et engendrer son pareil de son pareil, en multipliant son image défectueuse en unité, ce qui exige un amour mutuel et la plus tendre amitié. Toi dans ton secret, quoique seul, supérieurement accompagné de toi-même, tu ne cherches pas de communication sociale : cependant, si cela te plaisait, tu pourrais élever ta créature déifiée à quelque hauteur d’union ou de communion que tu voudrais : moi en conversant je ne puis redresser ces brutes courbées, ni trouver ma complaisance dans leurs voies. » —

« Ainsi enhardi, je parlai ; et j’usai de la liberté accordée, et je trouvai accueil : ce qui m’obtint cette réponse de la gracieuse voix divine :

« — Jusque ici, Adam, je me suis plu à t’éprouver, et j’ai trouvé que tu connaissais non seulement les bêtes, que tu as proprement nommées, mais toi-même ; exprimant bien l’esprit libre en toi, mon image, qui n’a point été départie à la brute, dont la compagnie pour cela ne peut te convenir ; tu avais une bonne raison pour la désapprouver franchement : pense toujours de même. Je savais, avant que tu parlasses, qu’il n’est pas bon pour l’homme d’être seul ; une compagnie telle que