Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/231

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trouvé qu’il fût mortel ; le serpent vit encore ; il vit, ainsi que tu le dis, et il a gagné de vivre comme l’homme, d’un plus haut degré de vie ; puissante induction pour nous d’atteindre pareillement, en goûtant ce fruit, une élévation proportionnée qui ne peut être que de devenir dieux, anges ou demi-dieux.

« Je ne puis penser que Dieu, sage créateur, quoique menaçant, veuille ainsi sérieusement nous détruire, nous ses premières créatures, élevées si haut en dignité et placées au-dessus de tous ses ouvrages, lesquels, créés pour nous, doivent tomber nécessairement avec nous dans notre chute, puisqu’ils sont faits dépendants de nous. Ainsi Dieu décréerait, serait frustré, ferait et déferait, et perdrait son travail ; cela ne se concevrait pas bien de Dieu, qui, quoique son pouvoir pût répéter la création, cependant répugnerait à nous détruire, de peur que l’adversaire ne triomphât et ne dit : — Inconstant est l’état de ceux que Dieu favorise le plus ! Qui peut lui plaire longtemps ? Il m’a ruiné le premier. Maintenant c’est l’espèce humaine. Qui ensuite ? — Sujet de raillerie qui ne doit pas être donné à un ennemi. Quoi qu’il en soit, j’ai lié mon sort au tien, résolu à subir le même sort. Si la mort m’associe avec toi, la mort est pour moi comme la vie : tant dans mon cœur je sens le lien de la nature m’attirer puissamment à mon propre bien en toi ; car ce que tu es m’appartient, notre état ne peut être séparé ; nous ne faisons qu’un, une même chair : te perdre, c’est me perdre moi-même. »

Ainsi parla Adam ; ainsi Ève lui répliqua :

« Ô glorieuse épreuve d’un excessif amour, illustre témoignage, noble exemple qui m’engage à l’imiter ! Mais n’approchant pas de ta perfection, comment l’atteindrai-je, ô Adam, moi qui me vante d’être issue de ton côté, et qui t’entends parler avec joie de notre union, d’un cœur et d’une âme entre nous deux ? Ce jour fournit une bonne preuve de cette union, puisque tu déclares que, plutôt que la mort, ou quelque chose de plus terrible que la mort, nous sépare (nous liés