Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/233

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opéra un tout autre effet, en allumant pour la première fois le désir charnel. Adam commença d’attacher sur Ève des regards lascifs ; Ève les lui rendit aussi voluptueusement : ils brûlent impudiques. Adam excite ainsi Ève aux molles caresses :

« Ève, à présent je le vois, tu es d’un goût sûr et élégant, ce n’est pas la moindre partie de la sagesse, puisque à chaque pensée nous appliquons le mot saveur, et que nous appelons notre palais judicieux : je t’en accorde la louange, tant tu as bien pourvu à ce jour ! Nous avons perdu beaucoup de plaisir en nous abstenant de ce fruit délicieux ; jusque ici en goûtant nous n’avions pas connu le vrai goût. Si le plaisir est tel dans les choses à nous défendues, il serait à souhaiter qu’au lieu d’un seul arbre on nous en eût défendu dix. Mais viens, si bien réparés, jouons maintenant comme il convient après un si délicieux repas. Car jamais ta beauté, depuis le jour que je te vis pour la première fois et t’épousai ornée de toutes les perfections, n’enflamma mes sens de tant d’ardeur pour jouir de toi, plus charmante à présent que jamais ! Ô bonté de cet arbre plein de vertu ! »

Il dit et n’épargna ni regard, ni badinage d’une intention amoureuse. Il fut compris d’Ève, dont les yeux lançaient des flammes contagieuses. Il saisit sa main, et vers un gazon ombragé, qu’un toit de feuillage épais et verdoyant couvrait en berceau, il conduisit son épouse nullement résistante. De fleurs était la couche, pensées, violettes, asphodèles, hyacinthes ! le plus doux, le plus frais giron de la terre. Là ils s’assouvirent largement d’amour et de jeux d’amour ; sceau de leur mutuel crime, consolation de leur péché, jusqu’à ce que la rosée du sommeil les opprimât, fatigués de leur amoureux déduit.

Sitôt que se fut exhalée la force de ce fruit fallacieux, dont l’enivrante et douce vapeur s’était jouée autour de leurs esprits, et avait fait errer leurs facultés intérieures : dès qu’un sommeil plus grossier, engendré de malignes fumées et surchargé de songes remémoratifs, les eut quittés, ils se levèrent comme d’une veille laborieuse. Ils se regardèrent l’un l’autre, et bientôt ils con-