Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/237

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reproches d’être la cause de ta transgression ! il te semble que je ne t’ai pas retenue avec assez de sévérité ! Que pouvais-je de plus ? Je t’avertis, je t’exhortai, je te prédis le danger, l’ennemi aux aguets placé en embuscade. Au-delà de ceci, il ne restait que la force, et la force n’a point lieu contre une volonté libre. Mais la confiance en toi-même t’a emportée, certaine que tu étais ou de ne pas rencontrer de péril, ou d’y trouver matière d’une glorieuse épreuve. Peut-être aussi ai-je erré en admirant si excessivement ce qui semblait en toi si parfait que je croyais que le mal n’oserait attenter sur toi ; mais je maudis maintenant cette erreur devenue mon crime, et toi l’accusatrice. Ainsi il en arrivera à celui qui, se fiant trop au mérite de la femme, laissera gouverner la volonté de la femme : contrariée, la femme ne supportera aucune contrainte ; laissée à elle-même, si le mal s’ensuit, elle accusera d’abord la faible indulgence de l’homme. »

Ainsi dans une mutuelle accusation, Ève et Adam dépensaient les heures infructueuses ; mais ni l’un ni l’autre ne se condamnant soi-même, à leur vaine dispute il semblait n’y avoir de fin.