Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/240

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faire, sinon à prononcer l’arrêt mortel contre sa transgression, la mort dénoncée pour ce jour même ? Il la présume déjà vaine et nulle, parce qu’elle ne lui a pas encore été infligée, comme il le craignait, par quelque coup subit ; mais bientôt il trouvera, avant que le jour finisse, que sursis n’est pas acquittement : la justice ne reviendra pas dédaignée comme la bonté.

« Mais qui enverrai-je pour juger les coupables ? qui, sinon toi, vice-régent, mon Fils ? À toi j’ai transféré tout jugement au ciel, sur la terre et dans l’enfer. On verra facilement que je me propose de donner la miséricorde pour collègue à la justice en t’envoyant, toi l’ami de l’homme, son médiateur, à la fois désigné rançon et rédempteur volontaire, en t’envoyant, toi destiné à devenir homme pour juger l’homme tombé. »

Ainsi parla le Père ; il entr’ouvrit brillante la droite de sa gloire, et rayonna sur son Fils sa divinité dévoilée. Le Fils, plein de splendeur, exprima manifestement tout son père, et lui répondit ainsi, divinement doux :

« Éternel Père ! à toi d’ordonner, à moi de faire dans le ciel et sur la terre ta volonté suprême, afin que tu puisses toujours mettre ta complaisance en moi, ton Fils bien aimé. Je vais juger sur la terre ceux-ci tes pécheurs ; mais tu le sais, quel que soit le jugement, la peine la plus grande doit tomber sur moi, quand le temps sera accompli. Car je m’y suis engagé en ta présence ; je ne m’en repens pas, et par cela j’obtiens le droit d’adoucir leur sentence sur moi dérivée : je tempérerai la justice par la miséricorde, de manière qu’elles seront les plus glorifiées, en étant pleinement satisfaites et toi apaisé. Il n’y aura besoin ni de suite ni de cortège, là où personne ne doit assister au jugement, excepté les deux qui seront jugés ; le troisième coupable, absent, n’en est que mieux condamné ; convaincu par sa fuite et rebelle à toutes les lois : la conviction du serpent n’importe à personne. »

Il dit, et se leva de son siège rayonnant d’une haute gloire collatérale ; les Trônes, les Puissances, les Principautés, les Do-