Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/252

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sinistre, et dipsade : non, jamais un tel essaim de reptiles ne couvrit ou la terre arrosée du sang de la Gorgone, ou l’île d’Ophiuse.

Mais, encore le plus grand au milieu de tous, Satan était devenu dragon, surpassant en grosseur l’énorme Python, que le soleil engendra du limon dans la vallée pythienne : il n’en paraissait pas moins encore conserver sa puissance sur le reste. Ils le suivirent tous, quand il sortit pour gagner la campagne ouverte : là ceux qui restaient des bandes rebelles tombées du ciel, étaient stationnés, ou en ordre de bataille, ravis dans l’attente de voir s’avancer en triomphe leur prince glorieux : mais ils virent un tout autre spectacle, une multitude de laids serpents ! L’horreur les saisit, et en même temps une horrible sympathie ; ce qu’ils voyaient ils le devinrent, subitement transformés : tombent leurs bras, tombent leurs lances et leurs boucliers, tombent eux-mêmes aussi vite : et ils renouvellent l’affreux sifflement, et ils prennent la forme affreuse qu’ils gagnent par contagion, égaux dans la punition comme dans le crime. Ainsi l’applaudissement qu’ils préparaient fut changé en une explosion de sifflements ; triomphe de la honte qui de leurs propres bouches rejaillissait sur eux-mêmes.

Près de là était un bois élevé tout à coup au moment même de leur métamorphose, par la volonté de celui qui règne là-haut ; pour aggraver leur peine, il était chargé d’un beau fruit, semblable à celui qui croissait dans Éden, amorce d’Ève employée par le tentateur. Sur cet objet étrange les démons fixèrent leurs yeux ardents, s’imaginant qu’au lieu d’un arbre défendu il en était sorti une multitude, afin de les engager plus avant dans la honte ou le malheur. Cependant, dévorés d’une soif ardente et d’une faim cruelle, qui ne leur furent envoyées que pour les tromper, ils ne peuvent s’abstenir, ils roulent en monceaux, grimpent aux arbres, attachés là plus épais que les nœuds de serpent qui formaient des boucles sur la tête de Mégère. Ils arrachent avidement le fruitage beau à la vue, semblable à celui qui croît près de ce lac de bitume où Sodome brûla. Le fruit