Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/257

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un plus grand mal ; ballotté dans une orageuse mer de passions, il cherche à soulager son cœur par ces tristes plaintes :

« Oh ! quelle misère après quelle félicité ! Est-ce donc la fin de ce monde glorieux et nouveau ? et moi, si récemment la gloire de cette gloire, suis-je devenu à présent maudit, de béni que j’étais ? Cachez-moi de la face de Dieu, dont la vue était alors le comble du bonheur ! Encore si c’était là que devait s’arrêter l’infortune : je l’ai méritée et je supporterais mes propres démérites ; mais ceci ne servirait à rien. Tout ce que je mange, ou bois, tout ce que j’engendrerai est une malédiction propagée. Ô parole ouïe jadis avec délices : Croissez et multipliez ! aujourd’hui mortelle à entendre ! Car que puis-je faire croître et multiplier, si ce n’est des malédictions sur ma tête ? Qui, dans les âges à venir, sentant les maux par moi répandus sur lui, ne maudira pas ma tête ? — Périsse notre impur ancêtre ! ainsi nous te remercions, Adam ! — Et ces remerciements seront une exécration !

« Ainsi outre la malédiction qui habite en moi, toutes celles venues de moi me reviendront par un violent reflux ; elles se réuniront en moi comme dans leur centre naturel, et avec quelle pesanteur, quoi que à leur place ! Ô joies fugitives du paradis, chèrement achetées par des malheurs durables ! T’avais-je requis dans mon argile, ô Créateur, de me mouler en homme ? T’ai-je sollicité de me tirer des ténèbres ou de me placer ici dans ce délicieux jardin ? Comme ma volonté n’a pas concouru à mon être, il serait juste et équitable de me réduire à ma poussière, moi désireux de résigner, de rendre ce que j’ai reçu, incapable que je suis d’accomplir tes conditions trop dures, desquelles je devais tenir un bien que je n’avais pas cherché. À la perte de ce bien, peine suffisante, pourquoi as-tu ajouté le sentiment d’un malheur sans fin ? Inexplicable paraît ta justice…

« Mais pour dire la vérité, trop tard je conteste ainsi ; car j’aurais dû refuser les conditions, quelconques, quand elles me furent proposées. Tu les as acceptées. Adam ; jouiras-tu du