Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/265

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plus salutaire, que je crois apercevoir, lorsque je rappelle avec attention à mon esprit cette partie de notre sentence : — Ta race écrasera la tête du serpent. — Réparation pitoyable, si cela ne devait s’entendre, comme je le conjecture, de notre grand ennemi, Satan, qui dans le serpent a pratiqué contre nous cette fraude. Écraser sa tête serait vengeance, en vérité, laquelle vengeance sera perdue par la mort et amenée sur nous-mêmes, ou par des jours écoulés sans enfants, comme tu le proposes ; ainsi notre ennemi échapperait à sa punition ordonnée, et nous, au contraire, nous doublerions la nôtre sur nos têtes.

« Qu’il ne soit donc plus question de violence contre nous-mêmes ni de stérilité volontaire, qui nous séparerait de toute espérance, qui ne ferait sentir en nous que rancune et orgueil, qu’impatience et dépit, révolte contre Dieu et contre son juste joug, sur notre cou imposé. Rappelle-toi avec quelle douce et gracieuse bonté il nous écouta tous les deux, et nous jugea sans colère et sans reproche. Nous attendions une dissolution immédiate, que nous croyions ce jour-là exprimée par le mot mort ; eh bien ! à toi furent seulement prédites les douleurs de la grossesse et de l’enfantement, bientôt récompensées par la joie du fruit de tes entrailles : sur moi la malédiction ne faisant que m’effleurer a frappé la terre. Je dois gagner mon pain par le travail : quel mal à cela ? L’oisiveté eût été pire ; mon travail me nourrira. Dans la crainte que le froid ou la chaleur ne nous blessât, sa sollicitude, sans être implorée, nous a pourvu à temps ; ses mains nous ont vêtus, nous, indignes, ayant pitié de nous quand il nous jugeait ! Oh ! combien davantage, si nous le prions, son oreille s’ouvrira et son cœur inclinera à la pitié ! Il nous enseignera de plus les moyens d’éviter l’inclémence des saisons, la pluie, la glace, la grêle, la neige, que le ciel à présent, avec une face variée, commence à nous montrer sur cette montagne, tandis que les vents soufflent perçants et humides, endommageant la gracieuse chevelure de ces beaux arbres qui étendent leurs ra-